Antoine Griezmann, face à l’Australie, le 16 juin à Kazan. / LUIS ACOSTA / AFP

La scène se déroule dans la petite tribune du stade de Glebovets, à Istra. En rang d’oignons, les journalistes assistent, lundi 18 juin, à la séance d’entraînement des Bleus, sous un soleil de plomb. Quand, soudainement, Antoine Griezmann déboule sur la pelouse, sans ses chaussures à crampons, et entame un footing avec un des kinés du staff de l’équipe de France. En marge de ses partenaires, l’attaquant effectue quelques tours de terrain avant de s’étirer et de regagner les vestiaires. Aussitôt, une crainte saisit les suiveurs des Tricolores. De quelle blessure la star de l’Atlético Madrid peut-elle bien souffrir pour être ainsi ménagée et bénéficier d’un programme aménagé ?

« Cela doit être un petit bobo », souffle un membre de l’encadrement des Bleus pour rassurer les médias, déjà affolés, une semaine plus tôt, par la mésaventure du prodige Kylian Mbappé, victime à l’entraînement d’un tacle un peu trop rugueux de son coéquipier Adil Rami. Le staff s’est montré rassurant. Griezmann n’a reçu qu’un léger coup au tendon d’achille lors de l’entrée en lice victorieuse (2-1) mais laborieuse des Tricolores contre l’Australie, et sera bien présent contre le Pérou, jeudi 21 juin, à Iekaterinbourg.

Dans le huis clos d’Istra, ce climat d’angoisse renvoie à la charge que le si précieux Griezmann, 27 ans (55 apparitions sous le maillot bleu, 21 buts), supporte sur ses épaules avant le match face aux « Incas ». Le Mâconnais n’est-t-il pas monté en grade avant l’ouverture du Mondial russe ? Lui qui dispute-là sa deuxième Coupe du monde après avoir crevé l’écran, il y a quatre ans, lors de l’édition brésilienne, poussant le trentenaire Franck Ribéry à prendre sa retraite internationale.

Leader technique des Bleus

Son sélectionneur, Didier Deschamps, n’hésite plus à le dépeindre comme son « leader technique », « un élément moteur », et la base de son édifice. « Je ne sais pas si j’ai les clés, a balayé, avec le sourire, le numéro 7 des Bleus à son arrivée en Russie. Tout le monde attend beaucoup de moi. Je veux amener cette équipe le plus loin possible. Je veux gagner cette Coupe du monde. »

Au sortir d’une saison interminable, « Grizou » était attendu au tournant en Russie

Son ton était résolu et ses ambitions très élevées. Au sortir d’une saison interminable et éreintante (4 574 minutes, soit l’équivalent de 51 matchs ), marquée par son doublé inscrit avec l’Atlético lors de la finale de Ligue Europa remportée (3-0) contre l’Olympique de Marseille en mai, celui que ses coéquipiers surnomment « Grizou » était attendu au tournant en Russie. Au même titre que les grandes stars du Mondial comme le Portugais Cristiano Ronaldo, l’Argentin Lionel Messi et le Brésilien Neymar. « Dans son club, Antoine est génial. Il arrive à maturité, au top, affirmait en mai Noël Le Graët, le président de la Fédération française de football (FFF). Il est exemplaire et donne toujours le meilleur de lui-même dans le jeu. C’est un garçon indispensable. »

Sauf que Griezmann est passé au travers contre l’Australie, à Kazan. A la peine physiquement, il a eu du mal à s’extraire de la nasse et à combiner avec ses jeunes coéquipiers Kylian Mbappé et Ousmane Dembélé. Certes, grâce à l’assistance à l’arbitrage vidéo (VAR), l’attaquant a sauvé son match en provoquant et en transformant un penalty, sur l’ouverture du score des Bleus. La tête basse et l’œil sombre, il est toutefois sorti assez tôt (70e minute) du terrain, suppléé par Olivier Giroud. Ce changement a passablement agacé l’intéressé. Malgré des fortunes diverses, ses « homologues » Ronaldo, auteur d’un triplé héroïque face à l’Espagne (3-3), Messi et Neymar n’ont pas eu à subir pareil affront pour leur entame de la compétition : ils sont restés sur le terrain jusqu’au coup de sifflet final.

Dans les couloirs de la Kazan Arena, Griezmann s’est même étonné de recevoir le trophée de l’homme de la rencontre. Une récompense injustifiée à ses yeux après son insipide prestation. « J’aurais donné le titre à N’Golo Kanté ou Lucas Hernandez », a confessé le joueur, dans un élan de sincérité. Dans la foulée, la presse sportive française ne l’a pas ménagé et s’est étonnée de sa soudaine « panne » contre les « Socceroos ».

Le même départ décevant à l’Euro 2016

Au coup d’envoi de l’Euro 2016, la presse avait également eu la dent dure avec l’attaquant, auteur d’une performance décevante lors du match inaugural et victorieux (2-1) des Bleus face à la Roumanie. « L’inquiétude Griezmann », pouvait-on alors lire à la « une » de L’Equipe. On connaît la suite : envoyé sur le banc des remplaçants, le buteur de l’Atlético avait ouvert la marque contre l’Albanie avant de hisser, au gré de ses exploits, sa sélection en finale et d’être élu meilleur joueur du tournoi (il a terminé meilleur buteur avec 6 réalisations). Il n’est jamais aussi à l’aise que dans la posture du « sauveur » et cet Euro aura été le point de départ de sa légende.

« A nous de le rendre meilleur. C’est notre leader d’attaque »

Deux ans plus tard, ses coéquipiers en sont rendus à étouffer les critiques naissantes, au camp de base d’Istra. « Il est décisif, provoque et marque le penalty. C’est tout ce qu’on retient », a insisté le milieu N’Golo Kanté devant les médias. « A nous de le rendre meilleur. C’est notre leader d’attaque, a ajouté Blaise Matuidi. Il est capable d’être décisif à tout moment. Il sort d’une saison longue. Je ne me fais pas de souci. Il va faire de grandes choses dans cette compétition. »

Si Griezmann polarise autant l’attention des journalistes, c’est aussi parce qu’il a joué au pompier pyromane en plein débat sur son éventuel transfert au FC Barcelone . Désireux de clarifier ses intentions, il a d’abord rétropédalé, alimentant ainsi un feuilleton qui a rythmé le quotidien de la sélection avant son entrée en lice. Le 12 juin, l’attaquant s’est présenté en conférence de presse pour, lire, en espagnol et en français, une déclaration liminaire. « Je ne vais pas annoncer ma décision aujourd’hui. Ce n’est ni le lieu, ni le moment. »

Le feuilleton de son transfert

Deux jours plus tard, il a finalement confirmé son souhait de prolonger (jusqu’en 2023) son contrat avec son club dans un programme d’une demi-heure, pompeusement intitulé La Decision, et diffusé sur la « chaîne zéro » de la plateforme Movistar. Pour réaliser ce film, Griezmann, féru de NBA, s’est inspiré du basketteur américain LeBron James, lequel avait annoncé, en 2010, son arrivée au Heat de Miami dans un show télévisé. Produit par la société du défenseur barcelonais Gérard Piqué, le « documentaire » du Français a irrité les supporteurs de l’Atlético. D’autant que l’attaquant a donné le sentiment de jouer avec leurs nerfs alors qu’il a admis que sa décision était prise « depuis un mois ».

« L’important c’est qu’il ait l’esprit libre. Je vous parle du fond, la forme ne m’intéresse pas »

Plusieurs raisons expliquent son choix, parmi lesquelles l’arrivée chez les « Colchoneros » de son compatriote et coéquipier chez les Bleus Thomas Lemar, en provenance de Monaco. La tenue de la prochaine finale de Ligue des champions, en juin 2019, au stade Wanda Metropolitano, le nouvel écrin de l’Atlético, a également motivé ses intentions. Epaulé par sa sœur aînée Maud, qui gère désormais sa communication et sa carrière, Griezmann a-t-il perturbé la préparation de sa sélection avec cet interminable feuilleton ?

« L’important c’est qu’il ait l’esprit libre. Je vous parle du fond, la forme ne m’intéresse pas, a martelé Deschamps, avant de faire rire les journalistes. Son programme télé ? C’est moi qui ai filmé. » Là aussi, les partenaires de Griezmann ont fait bloc autour de lui. « L’important est qu’il se sente libéré », a insisté Hugo Lloris, le gardien et capitaine des Bleus. Dans un autre registre, Lucas Hernandez s’est félicité du choix de son coéquipier en club. « A l’Atlético, tu peux être une star, mais à Barcelone tu ne peux être qu’un joueur de plus, a développé l’arrière gauche madrilène. Antoine peut être l’idole de tous les supporteurs, c’est le meilleur joueur de notre équipe. A Barcelone, il sera l’ombre de Messi. »

Aussi décevant que la star argentine en cette entame de tournoi, Griezmann va devoir monter en puissance pour justifier son statut de tête d’affiche contre le Pérou. Par le passé, le Mâconnais a prouvé son aptitude, dos au mur, à sortir sa sélection de l’ornière. Une certitude : le parcours de l’équipe de France en Russie dépendra de son rendement. Car, malgré ses dénégations répétées, il en détient les clés.