Le président Donald Trump, la secrétaire à la sécurité intérieure, Kirstjen Nielsen, et le vice-président, Mike Pence, lors de la signature du décret sur la séparation des familles, le 20 juin. / Pablo Martinez Monsivais / AP

Volte-face, recul, reddition, revirement : la presse américaine multiplie les qualificatifs pour analyser la décision surprise, mercredi 20 juin, du président des Etats-Unis Donald Trump de signer un décret interdisant la séparation des familles entrées illégalement par la frontière mexicaine. Parents et enfants seront désormais détenus ensemble, comme cela était le cas auparavant, durant une période de vingt jours maximum pour les mineurs.

En changeant d’avis après plusieurs jours de fermeté politique sur le sujet, le président semble avoir cédé aux nombreuses critiques provenant des élus démocrates, de la société civile et même de son propre camp.

« Politiquement, cela revient à agiter le drapeau blanc », assène le Washington Post. « Légalement, c’est avouer avoir fait de fausses déclarations », continue le journal – le président et sa secrétaire à la sécurité intérieure, Kristjen Nielsen, ont affirmé à plusieurs reprises que seul le Parlement pourrait arrêter la séparation des familles.

Mais le quotidien inclut aussi le débat sur le sort des enfants dans une stratégie plus large de Donald Trump, qui veut obtenir des avancées législatives sur l’immigration en général. Face à des sénateurs peu disposés à voter un texte sur l’immigration cette année, le président aurait voulu imposer son agenda en plaçant l’immigration au centre du débat politique.

« Son objectif n’était pas de séparer les familles, mais de contraindre le Congrès à avancer sur la réforme de l’immigration, commente un soutien de Donald Trump dans le Time. Et maintenant, tout le monde en parle et je pense que le président Trump a exactement ce qu’il attend. »

La jurisprudence Flores et la limite des 20 jours de détention

La signature du décret, symbole politique, n’apporte qu’une réponse temporaire à la gestion de l’immigration, de l’avis de plusieurs médias américains. « Le texte du président ne fait rien pour résoudre la situation critique des 2 300 enfants déjà séparés de leurs parents », note le New York Times.

En autorisant les familles à rester ensemble pendant toute la durée de la procédure légale à la frontière, le décret entre par ailleurs en contradiction avec une « décision de justice de 1997, la jurisprudence Flores, par laquelle le gouvernement fédéral s’attache à ne pas garder les migrants mineurs plus de 20 jours. Les procès pour immigration durent beaucoup plus longtemps que ça », explique le Los Angeles Times.

Garder une famille en détention sur une plus longue période ouvrirait la porte à des recours judiciaires de la part de juges fédéraux, nombreux au moment du décret anti-immigration de Donald Trump en 2017.

La jurisprudence Flores est visée par l’administration Trump depuis plusieurs mois : les attaques répétées du président contre les parlementaires démocrates, selon lui « responsables » de la séparation des familles à la frontière, visaient à débloquer le vote d’une nouvelle loi sur l’immigration, seule manière de contourner entièrement la limite des vingt jours de détention, selon le site Vox, qui consacre quatre articles, mardi, à cette controverse légale.

« La tactique n’a pas fonctionné », juge de son côté le Washington Post. Les deux propositions de loi sur l’immigration qui seront examinées, jeudi, à la Chambre des représentants – comprenant toute une batterie de réformes destinées à limiter l’immigration légale et illégale – pourraient ne pas obtenir une majorité des suffrages faute du soutien des Républicains modérés.

Le sentiment de culpabilité des démocrates

Dans un article intitulé « Les démocrates étaient absents du débat sur l’immigration pendant les années Obama. Aujourd’hui, ils s’engagent – et peuvent être désolés », le magazine The Week relève la position difficile des libéraux américains en rappelant les mesures très restrictives prises pendant le premier mandat de l’administration Obama.

Le président démocrate fait partie des chefs d’Etat américains qui ont renvoyé le plus d’immigrants dans leur pays d’origine, soulignait dès 2015 The Nation. « Hillary Clinton est allée jusqu’à dire que les enfants migrants arrivant d’Amérique centrale devraient être renvoyés chez eux pour “passer un message” à leur famille », rappelle The Week.

« On peut comprendre que les principaux concernés sont plus que sceptiques sur la soudaine ferveur pro-immigration des libéraux. C’est comme s’ils exploitaient ce sujet pour tacler Trump, et oublieront tout ça au moment où il quitte la Maison Blanche », conclut pour le magazine l’éditorialiste Ryan Cooper.

« Capitulation », selon certains médias conservateurs

Du côté de la presse conservatrice, The Federalist tente d’opposer aux critiques contre Donald Trump « quatre informations que les médias ne vous raconteront pas sur la crise migratoire ». Le média évoque un risque de criminalité lié à l’immigration illégale et estime que « les familles qui traversaient la frontière étaient souvent libérées avant la politique “tolérance zéro” ». Il ajoute que « les migrants clandestins libérés ne se présentent pas souvent aux audiences du tribunal », rendant difficile leur reconduite à la frontière – ce qui justifierait leur interpellation immédiate, selon le journaliste John Daniel Davidson.

Dans une chronique, la National Review se montre en désaccord avec le décret de Donald Trump, jugé trop laxiste pour l’éditorialiste David French : « Le décret représente une immense capitulation de la part de l’administration. On ne peut qu’espérer qu’il ne s’agisse pas d’une reculade si grande qu’elle incite encore davantage les démocrates à torpiller toute réforme de l’immigration. »