Il n’est jamais trop tard pour récupérer un bien, surtout quand sa valeur est estimée à deux millions d’euros. Le Conseil d’Etat a tranché, jeudi 21 juin. Un pleurant du tombeau de Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, propriété de sa famille depuis 1813, doit être restitué à l’Etat. Conservée au musée de Dijon, cette statuette devait être mise en vente avant que le ministère de la culture ne s’y oppose et réclame sa restitution immédiate.

La statuette en albâtre, représentant un moine en pleurs, date du XVsiècle et mesure 42 centimètres. Elle faisait partie des douze statues sur 41 disparues du tombeau en 1794 avant qu’une partie soit retrouvée.

Un conflit entre une famille et le ministère de la culture

Ce litige pose la question de la propriété des œuvres d’églises ou de châteaux disparues passées entre les mains de particuliers après la Révolution française. D’un côté, le ministère de la culture affirme avoir la preuve de la volonté du pouvoir révolutionnaire de préserver cette œuvre dans le cadre national. Et ce, y compris lorsque la Convention avait ordonné en 1793 la destruction des effigies royales et que le conseil général de Dijon a ordonné celle des tombeaux des ducs de Bourgogne, dont 82 pleurants ornaient les socles.

De l’autre côté, l’avocat des trois héritières de la statuette plaide le fait que le bien était sorti du domaine public pour devenir un bien négociable sous la Révolution, et n’appartenait donc plus à l’Etat. En décembre 2017, Marie-Claude Le Floc’h, membre de la famille propriétaire expliquait à l’Agence France-Presse :

« Nous avons envisagé de la céder à un musée à la mort de ma mère mais personne ne voulait l’acheter, ni le Louvre ni l’Etat. On a finalement décidé de la mettre en vente fin 2014 en demandant une autorisation de sortie du territoire [ce que le ministère de la Culture a refusé]. »

La fin d’une longue procédure judiciaire

Après deux échecs, en première instance et en appel, la société Pierre Bergé et associés chargé par la famille de procéder à la vente s’était pourvue en cassation devant le Conseil d’Etat. Dans sa décision, la plus haute juridiction administrative a estimé que « le pleurant » a été incorporé, comme tous les biens ecclésiastiques, au domaine national au moment de la Révolution française et n’a donc « jamais cessé d’appartenir à l’Etat ».

Il souligne qu’aux termes de l’article 8 d’un décret de l’Assemblée constituante des 22 novembre et 1er décembre 1790, certains de ces biens pouvaient être « vendus et aliénés à titre perpétuel », à des particuliers, qui pouvaient en devenir propriétaires au bout de quarante ans de jouissance. Les avocats de la famille détentrice de la statuette avaient revendiqué à l’audience le bénéfice de cette « prescription acquisitive ».

Mais la haute assemblée a constaté que ce coup de canif donné par les révolutionnaires à la règle d’inaliénabilité du domaine national n’était possible que sous réserve que le bien cédé ait fait préalablement l’objet « d’un décret formel du corps législatif, sanctionné par le Roi ». Or, dit le Conseil, « tel n’est pas le cas de la statuette » dont l’État est donc « demeuré propriétaire ».

Le Conseil d’État a également rejeté l’argument des requérants qui se prévalaient du « droit au respect des biens », estimant que malgré la durée de détention de la statuette, « l’intérêt patrimonial (…) justifiait qu’elle soit rendue à son propriétaire, c’est-à-dire à l’Etat ».