Film sur OCS City à 21 h 40

LES MERVEILLES Bande Annonce (Monica Bellucci - 2015)
Durée : 01:35

Certains films ne sont tellement pas comme les autres qu’ils semblent nous arriver par des voies un peu miraculeuses, secrètes. Ainsi vont Les Merveilles, deuxième long-métrage d’Alice Rohrwacher, étrange et poétique.

Nous sommes donc quelque part en Ombrie. C’est la nuit. Une fillette, toutes lumières allumées, s’attarde aux toilettes. La maisonnée, du coup, se réveille, l’entoure, s’inquiète, vu qu’il manque une porte à la salle de bains, la cadette proposant qu’on en profite pour faire des crêpes.

Impossible intimité, chaleur endogamique du cocon, tribu solidairement rétive aux normes sociales mais en payant parfois difficilement le prix dans une ferme isolée, vétuste et rafistolée : nous tenons là, en un plan, le sujet de notre film. La forme suit : pellicule aux couleurs saturées, image piquée, caméra portée et panoramiques hasardeux. Belle contrefaçon de super-8 familial, encore que le tournage de ce genre de film à rayonnement réduit l’équipe artistique et technique à la manière d’une famille.

Reine des coquillages

Drôle de famille donc, avec une palanquée de filles, la mère, ­Angelica, les filles, Luna, Caterina, Marinella et Gelsomina, Coco, autre fille à l’origine indéterminée, et Martin, un adolescent délinquant mutique, placé dans la famille en programme de réinsertion. ­Wolfgang, le père, vraisemblablement venu de terres germaniques, est un grand barbu dépenaillé, toujours en colère, aimant à sa manière, capable de se ruiner pour ses filles en leur offrant un chameau qui ne sert à rien. Il faut dire qu’une double malédiction pèse sur ce diable d’homme. La difficulté de faire vivre sa famille selon des principes d’autonomie hérités du mouvement alternatif. Et le fait d’être un mâle, fût-il dominant, dans ce gynécée. Du moins a-t-il fait de l’aînée, ­Gelsomina, douce fille pleine d’abnégation, sa chose dans la bonne marche de la petite entreprise familiale, qui vit chichement de la fabrication de miel artisanal.

Sam Louwyck, Eva Morrow, Maris Stella Morrow et Alba Rohrwacher. / TEMPESTA SRI

Le prix à payer, cher pour tous, l’est particulièrement pour l’adolescente. L’intrigue se noue in­sensiblement autour d’une émission de télé-réalité – « Le Pays des merveilles » – qui débarque dans la ­région pour y organiser un ­concours d’artisanat local richement doté. Monica Bellucci, ­déguisée en reine des coquillages, en est la présentatrice potiche, ­ridicule et prodigieuse à la fois, qui salue dans la population ­locale « des Etrusques vivant comme dans la préhistoire ». ­Tandis que la famille est sous le coup d’un arrêté d’expulsion pour défaut de conformité de son laboratoire, Gelsomina, qui se prend parfois à rêver d’une vie « normale », inscrit en douce la famille au concours, au mépris de l’avis paternel.

On laissera au spectateur la liberté de découvrir les séquences très inspirées qui scellent cette rencontre. Magnifique idée, qui organise la rencontre la plus antinomique et loufoque qui soit, entre l’Italie muséifiée vendue par la télévision commerciale et le rêve en miettes de l’utopie communautaire, tel que cette famille tente de le perpétuer. A ce titre, le film dresse un état des lieux contemporain de nos sociétés, la parabole des abeilles – comme corps social et comme corps mystique – y figurant une sorte d’idéal hors de la portée humaine. L’insecte aura du moins servi le portrait sensible de la douce Gelsomina, jeune fille-abeille déchirée entre le magnétisme de la ruche familiale et la griserie de l’envol individuel.

Les Merveilles, d’Alice Rohrwacher. Avec Maria Alexandra Lungu, Sam Louwyck (It.-Sui.-Autr., 2014, 110 min).