Au rez-de-chaussée du bâtiment B, des déchets en tout genre jonchent le sol. / Caroline Pain / Le Monde

En entrant dans le bâtiment B de l’université Paris-VIII Saint-Denis, on a l’impression qu’il a été laissé à l’abandon depuis des années. Les distributeurs de boissons et de nourriture ont été vandalisés. Les murs sont recouverts de tags. Des déchets en tout genre jonchent le sol. Bien que les portes du bâtiment soient grandes ouvertes, une forte odeur flotte dans l’air.

Cet immeuble de plusieurs étages, qui accueille habituellement l’UFR « Textes et sociétés », a été le lieu de l’occupation contre la loi ORE (« orientation et réussite des étudiants ») qui a perturbé l’université d’avril à juin, sans pour autant empêcher la tenue des examens.

A l’extérieur, sur un banc non loin de là, Schahin termine d’écrire le premier jet de son mémoire d’histoire contemporaine. Lui-même avait pris part à la mobilisation à ses débuts, avant de s’en écarter. « J’étais pour l’occupation, mais pas le blocage, et quand j’ai vu l’état de ce bâtiment-là… Y a pas de mots ! Même quand je fais des soirées dans des bâtiments désaffectés, ils sont pas aussi défoncés que ça. Je sais pas comment ils ont fait… » « Ils », personne ne sait pas vraiment de qui il s’agit. Les uns montrent du doigt des étudiants mobilisés, d’autres des gens extérieurs, militants ou jeunes du quartier.

Des professeurs et personnels qui travaillaient habituellement dans ce bâtiment sont eux aussi choqués. « On a très peu d’informations sur la remise en état des locaux. On nous a parlé du 18 juin, mais de fait ce n’est pas le cas, la date du 5 juillet circule maintenant. On voudrait surtout être certains que ça sera terminé en temps et en heure pour la rentrée… », explique une enseignante en littérature, qui s’est rendue sur place pour constater les dégâts. Et d’ajouter que l’addition s’annonce d’autant plus importante du fait du vol de matériel mobilier et informatique. Eya, étudiante en master de sciences politiques, estime, elle, que tels dégâts « font partie des risques ».

Le bâtiment B de l’unviersité Saint-Denis est aujourd’hui très dégradé. / Caroline Pain / Le Monde

En fin de matinée, l’université commence à s’animer. La grande bibliothèque, baignée de lumière, draine étudiants et enseignants. Les activités reprennent petit à petit, depuis une quinzaine de jours. Il n’y a pas foule, mais ce n’est non plus pas sans vie. Ce qui, somme toute, est plutôt normal pour un mois de juin. Les tables des petites cafétérias sont occupées, dans les bâtiments, les petits stands de nourriture sont ouverts.

« Les profs restaient disponibles »

Betty, étudiante en psycho venue faire quelques photocopies : « L’occupation nous a empêchés d’aller en cours pour les dernières semaines du semestre, certains élèves se rassemblaient sur l’herbe avec leurs profs. Mais ce n’était pas non plus dramatique. » Malgré le blocage, les étudiants ont pu passer leurs partiels : Paris-VIII fonctionne depuis longtemps avec un contrôle continu assez important. Pour les examens sur place, des modifications de modalité – dates ou lieux – gérées par les UFR ont permis, semble-t-il, leur bon déroulement.

Ce que confirme Schahin, l’étudiant en master d’histoire : « Même si j’ai entendu dire que certains profs n’avaient pas vraiment gardé le contact pendant le blocage, en général, ils restaient disponibles et ils échangeaient avec nous. Pour mon mémoire, j’ai croisé ma directrice, on a pu discuter, c’est repoussé à septembre pour la soutenance, mais je vais quand même rendre une première version. »

Dans d’autres bâtiments de l’université Saint-Denis, des murs repeints ont été recouverts d’inscriptions à nouveau. / Caroline Pain / Le Monde

Mais pour une partie des usagers du campus, la vie n’a pas repris son cours : un des étages du bâtiment A voit même les tensions s’exacerber entre les personnels de l’UFR de droit et les migrants et leurs soutiens, qui ont investi des locaux voici six mois.

Depuis février, une centaine de migrants a été accueillie par des étudiants. « Il neigeait dehors, il faisait moins 10, on n’allait pas les laisser à la rue », raconte Ali, en master de philosophie qui, avec d’autres étudiants et des militants, demande la régularisation de tous les migrants présents, ainsi que des logements pérennes. « Depuis, l’occupation s’est organisée, on a eu pas mal de dons pour aménager le bâtiment, il y a une cuisine collective, des dortoirs à l’étage. » De ces aménagements, on ne verra rien. « C’est le lieux de vie des migrants, on ne laisse personne d’extérieur y entrer. »

Dialogue rompu

Muhamad, réfugié soudanais, boit son café dans un pot de confiture. « On voulait se faire entendre, venir ici c’était un moyen d’attirer l’attention pour faire comprendre notre situation, raconte-t-il, en restant très vague sur les conditions de vie. Une fac, c’est pas un endroit pour vivre. » La présidente de l’université leur avait donné jusqu’à dimanche 17 juin pour quitter les lieux, sous peine de faire intervenir la police. Depuis, migrants et étudiants s’attendent à une évacuation d’un jour à l’autre.

Sur la terrasse devant leur lieu de vie, certains terminent leur nuit sur des matelas gonflables. Une petite scène de théâtre en bois a été construite ; à côté, une porte jonche le sol. Des tables, chaises et autres palettes s’empilent.

Des exilés qui habitent dans une partie du bâtiment A de l’université Saint-Denis depuis plusieurs mois s’occupent en jouant au foot. / Caroline Pain / Le Monde

De l’autre côté de la terrasse, dans le même bâtiment, des « e » ont été rajoutés sur les panneaux « UFR de droit », ainsi renommé « UFR de droite ». Lundi 18 juin, les personnels administratifs ont demandé à exercer leur droit de retrait. « Quand on est arrivé, il y avait des matelas dans notre couloir, des gens qui dormaient devant notre bureau…, raconte l’une d’elles, qui préfère garder l’anonymat. De nouveaux jeunes sont venus en renfort, après qu’il leur a été demandé de partir. Ça fait six mois que cela dure, on n’en peut plus. »

La tension est montée, et le dialogue, s’il a un jour existé, est aujourd’hui rompu. Les occupants considèrent les personnels comme des « racistes qui ne veulent pas de noirs dans leur fac », résume Ali, tandis que ceux-ci se plaignent de « jeunes qui ne comprennent rien : en droit, on a le plus grand pourcentage d’étudiants étrangers, on aide les étudiants sans papiers à réussir, c’est Paris-VIII enfin, on n’est pas racistes ! »

Sollicitée par les deux parties, la présidence se terre dans le silence. Elle n’a pas non plus donné suite à notre demande de précisions. Quelques mètres séparent les deux camps, et les portes vitrées restent toujours ouvertes. Pourtant, une barrière invisible s’est dressée. D’un côté, « on s’occupe des soutenances de mémoire, et on prépare la venue de ceux qui vont bientôt venir passer leurs entretiens de master 1 ». De l’autre, on s’inquiète d’une évacuation imminente : « On espère que la présidence nous préviendra. Si ça devait arriver, on voudrait que ça se passe bien. »