Mains sur les hanches, Messi est impuissant lors de la défaite 3-0 de l’Argentine contre la Croatie. / MARTIN BERNETTI / AFP

La tête et l’œil bas comme un pigeon blessé, Lionel Messi regagne le rond central. Aucun signe de colère, juste une sombre résignation qui surprend. Après le troisième but croate, il tourne le dos à la joie de ses adversaires comme pour oublier le cauchemar qui n’est pas prêt pour autant de se dissiper. Quelques jours après avoir été incapable de battre l’Islande (1-1), les Sud-Américains ont chaviré, jeudi 21 juin, face à la Croatie (3-0), à quelques encablures des rives de la Volga, où trône la magnifique Arena de Nijni-Novgorod.

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Inexistant malgré le vert fluo de ses chaussures, le capitaine argentin n’a rien pu faire et peut souffrir de la comparaison avec son homologue croate. Suprême outrage pour le Barcelonais, le leader de ses bourreaux n’est autre que le Madrilène Luka Modric. Le magnifique meneur de jeu rappelle que les footballeurs des Balkans n’ont rien à envier à la légendaire technique sud-américaine. Sur le deuxième but, d’un crochet, digne d’un pas de tango, et d’une frappe soudaine parfaitement en mesure, il a éclaboussé de son talent les spectateurs à qui Messi, lui, n’a rien su montrer.

De longues minutes après le coup de sifflet, les supporteurs argentins Pablo et Carlos ne peuvent pas se résigner à abandonner leur siège. Il faut toute la persuasion bienveillante des stewards russes pour qu’ils replient en silence leur drapeau et qu’ils quittent la tribune. Le regard absent, abasourdi, Pablo prend son courage à deux mains pour mettre des mots, crus, sur sa tristesse : « C’est nul. Nous n’avons pas de paire de couilles. Messi n’a pas de paire de couilles. Sampaoli [l’entraîneur] ne sait pas quoi faire. » Les deux amis argentins ont pris une décision radicale, qu’ils regretteront peut-être. « Nous venons de revendre en ligne nos billets pour le troisième match face au Nigeria. Je ne veux pas en voir plus », assène le jeune homme originaire de Neuquen, dans la lointaine Patagonie.

« Logique implacable »

Vêtu d’un haut de survêtement bleu du Racing, club mythique basé à Avellaneda, une banlieue de Buenos Aires, Horacio n’a même pas le droit à un peu de réconfort. Pas de traitement de faveur pour les perdants malheureux, les volontaires font appliquer le règlement de la FIFA et le trentenaire à la chevelure bouclée éteint sans un mot de protestation sa cigarette. « Ce n’est pas une surprise. C’est d’une logique implacable. On a Messi et c’est tout. Il n’y a pas de direction de jeu. Sampaoli ne devrait pas être notre sélectionneur », confie -t-il blasé.

L’attaquant du Barça ne peut en effet pas tout faire. Les failles collectives de l’Albiceleste sont profondes. Le successeur désigné de Messi, le Turinois Paulo Dybala, est pour le moment cantonné au banc. En défense et au milieu de terrain, à l’exception de Javier Mascherano, toujours solide au poste, il n’y a aucune certitude. D’un match à l’autre, Jorge Sampaoli a presque tout changé.

Jeudi après-midi, dans le train Moscou-Nijni-Novgorod, malgré son penalty décisif manqué samedi dernier contre les Islandais, les fans argentins chantaient encore leur amour pour Messi. Après la déroute, la plupart ne peuvent se résigner à lui en vouloir. « Messi est toujours au-dessus de tous. Non, non, non, on ne lui en veut pas. Il est dieu pour nous », défend Horacio. En direct, dans un de ses commentaires à la syntaxe improbable qui fait son charme, le plus Français des Argentins Omar Da Fonseca a résumé la solitude de la « Pulga » (la « puce », en espagnol, surnom du joueur) : « Messi, Messi seul, Messi maintenant enfermé… »

En conférence de presse, le sélectionneur Jorge Sampaoli défend sa vedette au jeu des comparaisons inévitables avec Cristiano Ronaldo à qui tout sourit depuis le début du tournoi. Le Portugais a déjà marqué quatre fois. « Tout de suite, nous ne devrions pas comparer ces deux joueurs. La réalité de l’équipe argentine assombrit l’éclat de Messi. Il est limité car l’équipe ne prend pas forme avec lui comme elle le devrait. Je suis vraiment blessé par cette défaite, mais je n’ai probablement pas composé mon équipe de la bonne manière », s’excuse le coach argentin.

« Messi était à l’arrêt, il était éteint, déprimé »

Combien de temps les péchés de Lionel Messi seront-ils encore absous ? En Argentine, le football n’est pas à prendre à la légère. La presse commence à s’impatienter. « Aujourd’hui, Messi était à l’arrêt, il était éteint, déprimé », a regretté après le match Diego Latorre, commentateur de la TV Publica, la chaîne nationale argentine.

Mais le premier à prendre place sur le banc des accusés sera à coup sûr Sampaoli. Il a beau agiter dans tous les sens son crâne luisant au bord du terrain, son plan de jeu est aussi fouillis que l’enchevêtrement de tatouages qui recouvre ses bras. « Je ne ressens pas de la honte mais de la douleur, comme je n’en avais pas eu depuis longtemps. Nous étions très ambitieux et nous voulions être premiers du groupe », a-t-il confessé.

Pourtant, il y a bien eu quelques signes avant-coureurs. Les éliminatoires sud-américains ont été périlleux. Avant le dernier match en Equateur, qui avait en plus ouvert le score, l’Argentine n’était que sixième, et donc barragiste, avant que Messi n’inscrive un triplé qualificatif. Fin mars, l’Argentine avait également explosé en vol lors d’un déplacement en Espagne (6-1). Bien sûr, les matchs amicaux n’ont jamais décidé d’une Coupe du monde et Lionel Messi n’était pas présent, mais rétroactivement, l’avertissement était limpide.

Trois mois après, le quintuple Ballon d’or est bel et bien sur le terrain, impuissant à pouvoir transformer le visage d’une équipe terriblement décevante. Il reste encore une chance à l’Argentine de se qualifier. Pour cela, il vaut mieux espérer une défaite de l’Islande vendredi 22 juin contre le Nigeria. Une victoire, mercredi 26 juin, contre les Super Eagles suffirait alors.

Le grand défilé de Lionel Messi