L’ancien présentateur du JT de TF1, Patrick Poivre d’Arvor, dont la marionnette à son effigie a été « le visage » des « Guignols ». / STÉPHANE DE SAKUTIN / AFP

Ecran noir. Vendredi 22 juin, à 20 h 30, les fameuses marionnettes en latex font leurs adieux à la télévision. Ce soir-là, Canal+ diffuse en clair pour la dernière fois « Les Guignols », après trente ans de présence à l’antenne. Une éternité déjà. Au revoir les mythiques « PPD », « Putain, deux ans », « Ah que coucou », « Reviens JPP reviens », « Supermenteur », « Ah tchao bonsoir », « M. Sylvestre »… Aucune colère du côté des personnalités qui ont donné vie à ce pastiche satirique d’un journal télévisé, juste de la tristesse et un sentiment d’infini gâchis. « C’était attendu. C’était comme être au chevet de quelqu’un qui a été malade depuis longtemps », reconnaît Yves Le Rolland, producteur historique (de 1995 à 2016).

« C’est une page qui se tourne, souligne Patrick Poivre d’Arvor, l’ancien présentateur du JT de TF1, dont la marionnette à son effigie a été « le visage » de ce divertissement. Je n’ai pas demandé à figurer aux Guignols mais j’ai aimé qu’ils m’accompagnent, même si je n’ai jamais vraiment regardé ce programme. D’ailleurs, je pensais qu’ils avaient disparu des radars depuis longtemps. » Quant à Ahmed Hamidi, un des auteurs (de 2000 à 2008), il se dit « forcément déçu » de la mort de l’émission emblématique de la chaîne cryptée : « Je pense que ce programme a été un formidable jouet qu’on a abîmé de façon chirurgicale », dit-il. Difficile de le contredire…

« Les Guignols de l’info », « c’est une institution », explique un collaborateur historique qui demande l’anonymat. « Cette émission a été une alchimie entre différents corps de métiers. Elle avait le souci de la mise en scène, qui pouvait rivaliser avec le cinéma, ajoute-t-il. C’est la fin d’une performance artistique quotidienne. »

L’un des programmes les plus impertinents

Lancé le 29 août 1988, l’émission « Les Arènes de l’info » – rebaptisée « Les Guignols de l’info » en 1990 –, s’impose très vite comme l’un des programmes les plus impertinents de la télévision française suivi, chaque jour, par plus de 3 millions de téléspectateurs. Politiques, chanteurs, sportifs, bref, les plus grandes personnalités – de Jacques Chirac à Jean-Paul II en passant par Bernard Tapie ou Johnny Hallyday – ont eu droit à leur marionnette. Certains ont plus apprécié que d’autres d’être moqués quotidiennement à 19 h 57 dans l’émission « Nulle part ailleurs ».

Politiques, chanteurs, sportifs, bref, les plus grandes personnalités – de Jacques Chirac à Jean-Paul II en passant par Bernard Tapie ou Johnny Hallyday – ont eu droit à leur marionnette. / FRANÇOIS GUILLOT / AFP

« Il paraît que c’était chic d’avoir sa marionnette, se rappelle Patrick Le Lay, ex-PDG de TF1 (de 1988 à 2008) qui a eu sa caricature. Je ne regardais pas l’émission, mais tout le monde me disait que j’en prenais plein la gueule. Un jour, “Les Guignols” ont traité ma chaîne de “boîte à cons” : on peut être irrévérencieux sans être injurieux. Son arrêt ne me fait rien du tout : ne me demandez pas de verser une larme. »

« Il a été difficile de résister aux assauts des patrons de TF1 qui voulaient que j’attaque “Les Guignols” en justice », Patrick Poivre d’Arvor.

Un jour, M. Le Lay a, pourtant écrit aux auteurs pour leur demander un best of : « Comme ils parlaient de TF1, je voulais voir ça, mais ils ne m’ont jamais rien envoyé. En plus, ils sont malpolis », sourit-il. « Il a été difficile de résister aux assauts des patrons de TF1 qui voulaient que j’attaque “Les Guignols” en justice parce qu’ils me faisaient dire des choses peu convenables, et de mes avocats aussi, qui voulaient que je leur réclame des royalties, il en était hors de question », confie Patrick Poivre d’Arvor.

L’ancien footballeur Jean-Pierre Papin se souvient d’avoir été raillé par ce programme qui l’a fait passer pour un benêt : « Ma famille en a souffert, mais au final l’émission a contribué à ma popularité », dit-il beau joueur. Controverses et polémiques, « l’émission a beaucoup dérangé », se souvient Ahmed Hamidi. Il suffit de lire le récent tweet de Nadine Morano, députée européenne Les Républicains, qui se réjouit de la fin du programme, pour comprendre à quel point « Les Guignols » ont pu excéder une partie de la classe politique : « Quelle joie ! Bien fait ! Pas d’enterrement, crémation directe ! Ni couronne ni fleur, mais une plaque : bêtes et méchants. Bon débarras ! »

Place à Kanye West et Kim Kardashian…

Depuis la reprise en main de Canal+ par Vincent Bolloré, à l’été 2015, l’émission avait perdu de sa superbe. Le programme « Les Guignols de l’info » est renommé « Les Guignols » et ne sera plus une caricature d’un JT. Place, désormais, à une nouvelle génération de marionnettes telles que Kanye West ou Kim Kardashian, censée attirer un nouveau public. « A cette époque, nous faisions encore plus de deux millions de téléspectateurs et nous gagnions de l’argent », se souvient Yves Le Rolland, qui sera viré en 2016 après plus de vingt ans aux commandes du programme.

Indigestes, convenus, « Les Guignols » ne font plus rire. Le programme est diffusé en crypté à 20 h 50, avant de réapparaître en clair. Conséquence, les audiences s’effondrent. Aujourd’hui, moins de cent mille personnes regardent encore cette émission. « En deux ans, les audiences ont été divisées par vingt ! », souffle M. Le Rolland. « A partir du moment où ça ne parlait plus politique et que ce n’était plus la caricature d’un JT, l’émission n’avait plus de sens, analyse M. Hamidi. Je ne suis pas partisan du “c’était mieux avant”, mais ce n’est pas bien maintenant. » De plus, son budget a été divisé par cinq, passant de 15 millions par saison à la belle époque à 3 millions aujourd’hui.

La marionnette de Vincent Bolloré, président du conseil de surveillance de Vivendi, groupe auquel appartient Canal+. / Capture arrêt du images

La fin d’une époque

Pour les différents collaborateurs des « Guignols », la fin de cette émission met en lumière « l’incompétence totale » de Vincent Bolloré aux commandes de Canal+. « Mais il ne faut pas y voir un plan machiavélique de Bolloré pour faire disparaître “Les Guignols”, il a juste voulu imposer ses idées. Il y croyait, précise M. Le Rolland. Je pensais, comme
Alain De Greef
[ancien directeur des programmes de Canal+] que “Les Guignols” étaient un programme immortel. Quoi qu’il en soit, je suis nostalgique d’un passé très heureux où il y avait plus d’impertinence et de liberté. Nous avons eu de la chance de connaître cette période. »

Il y a deux semaines, la famille des « Guignols » (quelques deux cents personnes) s’est réunie près de Paris pour boire à la santé du programme. « C’était festif comme moment. Ce qui me fait beaucoup de peine, c’est que l’émission disparaisse dans l’indifférence totale », soupire un ancien technicien. « L’émission a été dénaturée, personne n’ira dans la rue manifester pour réclamer son retour », regrette Ahmed Hamidi.

Le 31 août, cette famille devrait se retrouver, à nouveau, pour célébrer les 30 ans des « Guignols ».

Hommage à Johnny Hallyday - Les Guignols