Mieux contrôler les frontières extérieures, faire pression – avec menaces de sanctions à la clé – sur les pays africains pour qu’ils limitent les départs et acceptent rapidement des réadmissions, définir – enfin – des procédures communes d’asile et instaurer une « solidarité » entre les Etats membres pour la répartition des demandeurs d’asile : voici les principaux axes d’un texte déposé par la Commission européenne en vue du sommet restreint sur la migration qui doit se tenir à Bruxelles, dimanche 24 juin.

L’idée, évoquée au cours des derniers jours, de créer des « plateformes de débarquement » de migrants aux frontières extérieures de l’Europe n’est pas évoquée explicitement dans ce brouillon, pas plus que celle de centres pour déboutés du droit d’asile qui devraient être renvoyés dans des pays tiers. Le texte évoque un soutien à l’organisation éventuelle « de capacités de protection et de réception hors de l’UE ». Et d’une réinstallation de ceux qui auraient droit à l’asile « sur une base volontaire ».

Le texte lu par Le Monde a été longuement soupesé et il sera négocié et renégocié jusqu’à la dernière minute… mais il ne verra pas le jour. Les réticences du gouvernement italien, qui estime que le projet ne correspond pas à ses souhaits et ne devait pas être écrit à l’avance, feront que la réunion se soldera plus que probablement par une simple déclaration du seul Jean-Claude Juncker, le président de la Commission.

« Osons dire non »

« Ou bien il y a une proposition utile sur la défense des frontières, la sécurité et j’ajoute sur les droits des vrais réfugiés ou bien osons dire non », indiquait jeudi Matteo Salvini, le ministre italien de l’intérieur, l’homme fort du gouvernement de Giuseppe Conte. Le dirigeant d’extrême droite a dit refuser le « petit devoir » écrit, selon lui, par Paris et Berlin. M. Conte, qui a eu jeudi une conversation téléphonique avec Mme Merkel, « inquiète » de son éventuelle absence à Bruxelles, a toutefois fini par confirmer son déplacement.

Le débat de fond à Vingt-Huit se déroulera donc lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement, toujours à Bruxelles, les 28 et 29 juin. La réunion de dimanche, qui devrait regrouper une dizaine de dirigeants, est donc censée être une « préparation » à ce conseil. Elle apparaît surtout comme une aide à la chancelière allemande, en grande difficulté dans son pays, où Horst Seehofer, dirigeant des conservateurs bavarois de la CSU et ministre de l’intérieur, a lancé un ultimatum à Angela Merkel : elle a deux semaines pour trouver une solution européenne à ce qu’il est désormais convenu d’appeler « la crise migratoire ». Ou plutôt la crise politique née, dans différents pays, de la focalisation sur la question de la migration et du refus italien de continuer à accueillir des embarcations d’ONG qui recueillent des migrants en Méditerranée. M. Seehofer a menacé, en cas d’échec, de fermer les frontières allemandes.

« Dimanche, on assistera à un mini-sommet Merkel, et même, en vérité, à un mini-sommet Seehofer, peste un diplomate. Et quelle valeur pourrait avoir un accord à dix pays alors que seront absentes la Suède et la Hongrie, aux visions complètement opposées ? » La première exige effectivement des quotas contraignants de répartition des demandeurs d’asile, la seconde les refuse absolument et son premier ministre, Viktor Orban, s’est livré jeudi, lors d’une réunion du groupe de Visegrad à Budapest, à une nouvelle diatribe contre la Commission et la chancelière allemande. Il a confirmé au passage le boycottage par son pays, ainsi que la Pologne, la Slovaquie et la République tchèque, du mini-sommet de Bruxelles.

Création d’une police européenne des frontières

A Rome, pendant ce temps, on juge que Bruxelles aborde insuffisamment la question de la protection des frontières extérieures pour se concentrer sur le redéploiement des migrants déjà arrivés en Europe et sur les « mouvements secondaires », à savoir la répartition des migrants dans les différents pays de l’Union. Démenti de Bruxelles : la Commission se soucie tout autant de limiter les arrivées. Pour preuve, sa volonté de renforcer son aide financière et matérielle à des pays d’Afrique pour qu’ils contrôlent les départs. Mais aussi de réviser la politique des visas avec ces pays, de limiter les aides au développement qui leur sont fournies et d’instaurer une véritable police européenne des frontières, forte de 10 000 membres.

La question des plateformes, ou centres – camps ? – à installer aux frontières extérieures promet d’être un autre sujet d’affrontement, avec des pays comme l’Autriche ou le Danemark qui ont lancé ce projet. Des capitales s’inquiètent de la légalité de cette solution. L’idée, que la Commission ne défend visiblement pas, sera toutefois « travaillée ». D’autant que les pays cités pour accueillir de telles structures – la Tunisie, l’Albanie – sont manifestement réticents et n’ont même pas été consultés.

La position française semble, elle, clarifiée après les propos tenus à Vienne, jeudi, par Nathalie Loiseau, la ministre chargée des affaires européennes. « Je ne vois pas comment il serait possible de demander à des demandeurs d’asile de repartir vers des pays tiers, en vertu du droit international existant, et de les retenir dans un pays tiers, plutôt que d’examiner leur demande d’asile sur le territoire européen », a-t-elle indiqué.

La conviction de certains, désormais, est que la discussion du mini-sommet de dimanche et celle du conseil européen qui suivra vont déboucher sur une interrogation quant à l’avenir de la zone sans passeport de Schengen. Ce pilier de la construction européenne est clairement menacé par les tensions actuelles. Le rétablissement des frontières intérieures prôné par certains pourrait clairement entraîner son effondrement. « Il faudra donc mettre le marché en mains aux pays de l’Est, assure un expert. Soit ils acceptent un minimum de solidarité, soit ils enterrent Schengen et en souffriront comme tous les autres. »