Sebastian Kurz, le 20 juin à Linz. / LEONHARD FOEGER / REUTERS

Il avait remporté les législatives en octobre 2017 en misant tout sur l’immigration. C’est encore en portant quotidiennement dans les médias ce sujet que Sebastian Kurz, 31 ans, entend faire de sa présidence de l’Union européenne pour six mois, à partir du 1er juillet, un succès de politique intérieure.

Peu importe, semble-t-il, que les arrivées clandestines sur le continent aient été largement réduites, depuis la crise historique de 2015. Que la France soit devenue le pays d’Europe dans lequel le plus grand nombre de demandes d’asile aient été déposées en 2018 ne semble pas non plus faire ciller l’un des plus jeunes dirigeants de la planète, à 31 ans seulement.

Il n’a pas achevé ses études de droit et mène ses troupes à la manière douce de ceux qui n’ont pas besoin d’élever la voix, tout en répétant à longueur de journée qu’il faut renforcer les frontières extérieures de Schengen, arrêter d’instruire les demandes au sein de l’Union européenne et créer des camps pour « trier » les migrants économiques des personnes éligibles à l’asile. Le nombre de demandes de protection déposées en Autriche ne cesse pourtant de décroître. Il est passé de 88 340 en 2015 à 24 296 en 2016.

Le gouvernement autrichien craint que les chiffres ne repartent à la hausse, car depuis l’affaire de l’Aquarius en Italie, les routes migratoires pourraient de nouveau se mouvoir. Mais même si le nombre de migrants a sensiblement augmenté ces derniers mois dans les Balkans, il reste peu probable qu’une arrivée aussi massive que celle de 2015 ne se reproduire, comme Sebastian Kurz, yeux bleus et cheveux blonds invariablement gominés en arrière, le laisse régulièrement entendre.

Même si son discours de fermeté n’a pas changé ces deux dernières années, Sebastian Kurz, avec son air posé et ses bonnes manières, est devenu plutôt récemment l’une des principales figures européennes incarnant la « fermeté » sur le sujet.

Personnalité clivante

Et cela ne doit rien au hasard : ancien des jeunesses conservatrices autrichiennes, qu’il a présidées dès 2009, il porte une attention particulière à la sémantique, à la gestuelle et à la communication visuelle en politique. Détesté par une grande partie de la gauche, encore puissante en Autriche puisque le Parti social-démocrate (SPÖ) reste la deuxième force politique actuelle, il est adulé de manière irrationnelle par une partie importante de la population, dépassant les clivages politiques traditionnels.

À la tête d’un gouvernement regroupant les conservateurs et l’extrême droite, il est désormais en capacité d’appliquer les idées qu’il prônait lorsqu’il était ministre des affaires étrangères, mais que le SPÖ, alors au pouvoir en coalition avec lui, bloquait. Son visage est moins poupin et ses propos moins lisses que lorsqu’il a décroché son premier secrétariat d’Etat – à l’intégration, déjà – à 24 ans. Il compte se servir de la présidence de l’Union pour affaiblir la chancelière allemande Angela Merkel, à qui il reproche d’avoir manqué de vision historique en ouvrant grand les portes de son pays, il y a bientôt trois ans. Car Sebastian Kurz, même s’il appartient à la famille du Parti populaire européen (PPE), s’en prend principalement à son propre camp sur le sujet.

Figure politique autrichienne la plus connue à l’étranger depuis Jörg Haider, ce Viennois manie un style de gouvernance très éloigné de celui de dirigeants tels que Vladimir Poutine, Viktor Orban, Matteo Salvini ou Donald Trump. Issu d’un milieu modeste (son père est technicien, sa mère enseignante), réduisant l’exposition de la femme partageant officiellement sa vie au strict minimum protocolaire, il avait déjà œuvré en 2016 pour fermer la route des Balkans, poussant Mme Merkel, pour éviter une nouvelle crise dramatique en Grèce, à passer un accord controversé avec la Turquie, afin que cette dernière retienne les migrants présents sur son territoire.

Cheval de Troie

La même année, il proposait de conduire vers une île de la Méditerranée les migrants interceptés en mer. C’est dans une même logique qu’il attise désormais les tensions en Europe, soutenant le dirigeant hongrois, les élus bavarois de la CSU, le nouveau gouvernement italien et certains responsables politiques scandinaves dans leur volonté de redéfinir les règles de l’asile au niveau européen.

Quitte à sembler avoir un double agenda. Alors qu’il dévoilait les priorités de la présidence autrichienne pour l’Union européenne au début du mois de juin, se présentant comme un « pont » favorisant le dialogue entre l’Est et l’Ouest sur les questions migratoires, le gouvernement danois éventait des discussions secrètes, menées par l’Autriche avec plusieurs pays membres – mais pas la France – pour ouvrir des camps, dans lesquels seraient envoyés les déboutés de l’asile en dehors de l’Union européenne. Or ce projet ne figurait aucunement dans les soixante-six pages présentées par Vienne à la Commission européenne, pour les six mois à venir, ce qui jette le trouble sur ses intentions, certains voyant déjà en lui un cheval de Troie à même de rendre les thèses de l’extrême droite majoritaires.