Granit Xhaka a célébré son but en mimant l’aigle bicéphale albanais, le 22 juin. / Laurent Gillieron / AP

Le président de la FIFA, Gianni Infantino, avait cru bon de le rappeler à la veille de la compétition en Russie : « La Coupe du monde n’est pas un événement politique et ne doit pas l’être. » La victoire de la Suisse sur la Serbie (2-1), vendredi 22 juin, à Kaliningrad, a sonné le glas de la préservation du Mondial des contingences extrasportives.

Non contents de sortir leur équipe d’une mauvaise passe, les deux sauveurs helvètes, Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri, tous deux d’origine kosovare, ont célébré leurs buts en mimant l’aigle à deux têtes du drapeau albanais. Un geste de soutien au Kosovo, dont la Serbie n’a jamais reconnu l’indépendance, proclamée en 2008.

« Rester à l’écart de la politique »

« On ne devrait pas mélanger la politique et le football, regrettait le sélectionneur suisse, Vladimir Petkovic, originaire de Sarajevo, en Bosnie-Herzégovine. Il est important de rester à l’écart de la politique. Nous sommes là pour vivre différentes émotions et prendre du plaisir dans l’ambiance dans laquelle nous nous trouvons. » 

Les joueurs rentraient à peine dans les vestiaires de l’Arena Baltika que des responsables politiques suisses s’écharpaient sur les réseaux sociaux. La nationaliste Natalie Rickli, qui regrettait que « les deux buts n’[aient] pas été marqués pour la Suisse, mais pour le Kosovo », a été renvoyée à ses études par le socialiste Cédric Wermuth : « Si vous n’avez pas compris que l’histoire albanaise-kosovare appartient à la Suisse, vous avez besoin de cours d’appui. »

Désigné « homme du match », Xherdan Shaqiri n’a pas souhaité s’étendre sur un geste qu’il n’expliquait que par « l’émotion ». Le joueur de Stoke City (Angleterre) ne manque pourtant jamais une occasion de rappeler son attachement au Kosovo, qu’il a fui avec ses parents pour la Suisse, à peine âgé d’un an, et dont il est devenu l’ambassadeur d’honneur en 2014.

L’ailier de la « Nati » pavoise ainsi sa chaussure droite du drapeau de ce que Belgrade (Serbie) considère toujours comme une « province méridionale serbe ». De quoi susciter des doutes sur son attachement à la tunique suisse, portée à 72 reprises. « S’il aime tant le Kosovo, pourquoi n’a-t-il pas voulu jouer pour leur équipe ? », a fait mine de s’interroger l’attaquant serbe, Aleksandar Mitrovic, avant le match de Kaliningrad.

« Provocation honteuse »

A Pristina (Kosovo), le succès des hommes de Petkovic a été accueilli par une salve de klaxons, drapeaux albanais fièrement brandis aux portières. Le président, Hashim Thaçi, s’est même fendu d’un tweet pour féliciter la prestation des deux « enfants » du pays.

Chez le voisin serbe, les gestes de Shaqiri et Xhaka ont été autrement appréciés. Qualifié de « provocation honteuse » par la presse locale, l’aigle bicéphale a été interprété comme un soutien à la doctrine nationaliste de la Grande Albanie, visant à rassembler tous les Albanais des Balkans.

En 2014, lors d’un match entre la Serbie et l’Albanie, à Belgrade, le survol d’un drone traînant un drapeau griffé de l’aigle avait provoqué l’envahissement de la pelouse et des échanges de coups entre supporteurs et joueurs. La partie avait dû être interrompue avant la pause.

Le geste des buteurs suisses n’a pas été la première réminiscence des nationalismes d’ex-Yougoslavie, lors de cette Coupe du monde. Pour son entrée dans la compétition, la Serbie avait battu le Costa Rica (1-0), le 17 juin. « Une douce revanche », pour le ministre des affaires étrangères serbe, San José comptant parmi les capitales les plus promptes à reconnaître l’indépendance du Kosovo en 2008.