Documentaire sur France 5 à 22 h 35

Georges Bizet en 1875. / Etienne Cartaja

On a peine à croire que Carmen, de Georges Bizet (1875), fut un échec à sa création et que le compositeur, mort trois mois plus tard d’un refroidissement contracté après s’être ­baigné dans la Seine en face de la maison qu’il avait louée à Bougival (Yvelines), n’ait jamais su que son ouvrage allait devenir l’opéra le plus populaire au monde.

Certes, le directeur de l’Opéra-Comique s’est ému de cette ­histoire très immorale selon les canons bourgeois de l’époque ; certes, le public a goûté les ­premiers actes et ses scènes « pittoresques ». Mais, au moment de la mort de la cigarière croqueuse d’hommes, c’en fut trop.

Non, comme l’affirme l’écrivain Eric-Emmanuel Schmitt (dont on se demande pourquoi on l’interroge si longuement alors que, à ses propos ordinaires, on ­préfère ceux de l’excellent Hervé Lacombe, spécialiste reconnu et patenté de Bizet), qu’on « ne meur[e] pas sur la scène de l’Opéra-Comique » (l’année précédente, en 1874, on y avait vu la fin tragique de Mireille, l’héroïne provençale de Charles Gounod). Mais la mort de Carmen lança la vogue, sur cette scène parisienne, des héroïnes sacrificielles – Lakmé (Léo Delibes), Manon (Jules Massenet), Mélisande (Claude Debussy) – qu’on voyait auparavant ailleurs, notamment sur la scène ­ « sérieuse » de l’Opéra.

La revanche posthume viendra vite, à l’Opéra de Vienne puis partout dans le monde. On a même découvert une Carmen en chinois, montée par le metteur en scène français René Terrasson à Pékin, en 1982. Un disque assez exotique a immortalisé ce moment. Parmi les contemporains de Bizet, Nietzsche fait de Carmen l’antidote aux noirceurs toxiques des opéras de Wagner. Brahms, qui le déchiffre à quatre mains avec la grande cantatrice Pauline Viardot (voisine de Bizet à Bougival), y voit un chef-d’œuvre. Tchaïkovski ­annonce prophétiquement que « Carmen sera l’opéra le plus ­célèbre de toute la planète ».

Une façade et deux pièces

Si le portrait de cette villégiature d’artistes qu’était Bougival est bien fait, ce numéro d’« Une ­maison, un artiste » s’attache ­davantage à l’artiste qu’à sa maison, dont seules la façade et deux pièces sont filmées. Bizet était-il seul dans cette location ? Partageait-il un étage avec d’autres ?

Il est par exemple évoqué que Meilhac et Halévy, les librettistes de Carmen, étaient installés au rez-de-chaussée tandis que le compositeur travaillait à l’étage. Pourquoi ne montre-t-on pas ce rez-de-chaussée ? N’est-il plus aménagé comme à l’époque ? Etait-il inondé par une crue de la Seine le jour du tournage ? Y a-t-on installé une boutique de ­babioles et souvenirs ?

Pourquoi le lit de Bizet est-il à une place ? Ses relations matrimoniales sont évoquées. Mais où dormait sa femme ? Lui rendait-elle seulement visite ou le laissait-elle travailler seul (d’autant que, ainsi que le dit Jorge Chaminé, président de l’association des Amis de Georges Bizet, le compositeur sortait de son lit en pleine nuit pour se mettre à son piano d’étude installé dans sa chambre) ?

Pourquoi le piano était-il dans la chambre, et non dans le bureau attenant ? Bizet faisait-il partie des compositeurs qui écrivent à la table et ne se servent du piano que pour vérifier tel ou tel passage ? On pourrait multiplier les questions à la Jean-Jacques Bourdin, parodié par « Les Guignols de l’info » sur Canal+ : en effet, « les Français ont le droit de savoir ! »

Georges Bizet, Carmen sur les bords de Seine, un film de Jean Rousselot, dans le cadre de Ia série documentaire « Une maison, un artiste » sur une idée originale de Patrick Poivre d’Arvor (Fr., 2018, 30 min).