Lors d’une manifestation, le 29 mars 2017, à Cayenne. / JODY AMIET / AFP

En Guyane, les problèmes du centre hospitalier Andrée-Rosemon de Cayenne font régulièrement la « une » de l’actualité, mais cette fois-ci la crise est sans précédent : le 3 mai, dix-sept médecins urgentistes ont annoncé leur démission, qui doit prendre effet le 3 juillet, après un préavis de deux mois. « Tout a commencé avec le planning de mai : il n’était pas faisable, avec certaines semaines à plus de 60 heures pour quasiment tous les médecins », explique le docteur Arthur Deroure-Corte, urgentiste depuis trois ans à Cayenne.

« Comme partout, le service d’urgence compense les dysfonctionnements du système de santé », explique le docteur Pierre Chesneau, urgentiste et depuis dix-huit ans à l’hôpital de Cayenne. « C’est encore plus vrai en Guyane où, en amont de l’hôpital, il y a moins de spécialistes libéraux, de généralistes et de cliniques et, en aval, pas assez de lits et de spécialités à l’hôpital, donc une surcharge de travail en permanence aux urgences », ajoute-t-il.

En mai 2017, les urgentistes avaient déjà saisi la direction dans un courrier, réclamant des recrutements rapides, avec déjà une menace de démission. Sans résultat. Fin 2017, quatre médecins ont quitté les urgences de Cayenne pour l’hôpital de Kourou. Début mai, le service comptait vingt-cinq médecins, pour un effectif budgété à quarante. « On a craqué… On a voulu rompre le cercle vicieux des départs qui se faisaient petit à petit », explique le docteur Chesneau. « On s’est dit : “on va partir tous d’un coup, comme ça, peut-être que cela fera réagir” », ajoute-t-il. A huit jours de la fin de leur préavis, quelques intérimaires et sept médecins de la réserve sanitaire sont venus en renforts ponctuels, mais aucun recrutement n’a été réalisé sur le long terme.

« Climat délétère »

« Ce n’est pas un problème de finances, les postes nous les avons, c’est un problème de recrutement médical, a expliqué au début de la crise Agnès Drouhin, la directrice de l’hôpital sur la télé publique Guyane la 1ère. Nous cherchons partout, nous mettons des annonces dans les journaux professionnels, mais c’est difficile, car les hôpitaux en France rencontrent les mêmes difficultés. »

Principal hôpital de Guyane, avec 2 200 agents dont 270 médecins, le centre hospitalier de Cayenne traverse une crise qui va au-delà des urgences. « Il y a une maltraitance institutionnelle », dénonce un médecin expérimenté, qui parle de « climat délétère » et de « loi du silence », avec une instance de concertation, la commission médicale d’établissement (CME), qui « ne fonctionne plus ». « Les moyens sont sous-dimensionnés, il faut transférer des malades hors de Guyane car on n’a pas assez de place pour accueillir tout le monde. A Fort-de-France, ils acceptent quand ils peuvent, mais pas toujours… », affirme un autre praticien.

Selon l’hôpital, depuis début 2016, trente-deux médecins titulaires sont partis et quatorze sont arrivés, soit une perte de dix-huit titulaires. Parmi les partants, plusieurs figures de l’hôpital, chef de service ou chef de pôle. Depuis le 1er janvier 2016, on compte dix-neuf démissions de médecins, hors crise des urgences. « Le constat est cruel et inquiétant », analyse Jacques Cartiaux, directeur de l’agence régionale de santé.

Manque de réactivité

Alors que le député Gabriel Serville réclame son départ pour son manque de réactivité, le représentant du ministère de la santé avertit la direction de l’hôpital : « Il faut redresser la barre, avec une équipe de direction qui a pour objectif majeur de recruter et de garder les médecins. » Jacques Cartiaux met en avant le plan d’investissement de 40 millions d’euros pour l’hôpital autorisé mardi à Paris par le comité interministériel de la performance et de la modernisation.

Il y a urgence : dans un rapport de mars 2017, Pierre Lesteven, inspecteur général des affaires sociales et administrateur provisoire de l’hôpital pendant huit mois en 2016, évoque « un équipement sanitaire de la Guyane » qui n’est « pas apte à faire face à l’explosion démographique en cours et ne peut satisfaire certains besoins de soins », ainsi qu’une « situation de crise sanitaire quasi permanente ».