Le milieu de terrain Paul Pogba en conférence de presse à Istra, le 24 juin. / FRANCK FIFE / AFP

Longtemps sur la défensive, Paul Pogba vient d’effectuer un grand retour. Voilà quatre ans que le milieu de terrain refusait de participer à une conférence de presse en équipe de France, pourtant un classique de la profession. « Je vous aime tellement, vous m’avez manqué », ironise-t-il devant les journalistes, dimanche 24 juin, à Istra, dans le camp de base français de cette Coupe du monde.

Le même jour, sur la chaîne TF1, partenaire des Bleus, l’émission « Téléfoot » a annoncé que l’attaquant Kylian Mbappé envisageait de faire l’inverse : il aurait décidé boycotter les médias pendant toute la durée de la compétition. « Si vous les mettez en rogne… Avec moi, il rigole, on discute, sourit le sélectionneur, Didier Deschamps, à propos de ses joueurs. La meilleure des réponses, Kylian la donne sur le terrain. »

Dans leurs déclarations comme dans leurs non-dits, ces deux jeunes gens talentueux racontent la même histoire : celle des relations, jamais très évidentes, entre joueurs de l’équipe de France et journalistes. Celles-ci ont bien souvent oscillé entre confiance et défiance, dans un entre-deux qui rend la critique parfois difficile.

« Forme d’arrogance »

Le cas de Kylian Mbappé est sans doute le plus surprenant. Habitué aux compliments pour sa maturité et son aisance à l’oral, l’avant-centre a visiblement plus de mal à supporter les premières réserves émises sur ses performances. Peu inspiré lors de la victoire sur l’Australie (2-1), l’avant-centre a filé sans mot dire après son premier but en Coupe du monde, contre le Pérou (1-0). Un but synonyme de qualification pour les huitièmes de finale, avant même le match à Moscou contre le Danemark, mardi 26 juin.

Ce soudain mutisme a de quoi surprendre. L’ancien milieu international Eric Carrière, aujourd’hui consultant pour la chaîne Canal+, considère évidemment le jeune attaquant comme un « joueur exceptionnel ». Mais son « attitude [l’]inquiète car elle dénote une certaine forme d’arrogance, une impression de supériorité, de suffisance ». Désormais passé de l’autre côté, l’ex-footballeur nantais poursuit : « Les joueurs peuvent être touchés par les critiques, je peux le comprendre, mais leur entourage devrait leur dire que ça fait partie de leur profession. Si ça ne vous convient pas, changez de métier, mais attention, il n’y en a pas beaucoup où vous allez gagner autant d’argent, réfléchissez bien. »

Bon camarade, Paul Pogba s’est déjà chargé de défendre Mbappé en « zone mixte », cet espace où les joueurs peuvent ou non s’arrêter après leurs matchs pour parler aux journalistes. « Les footballeurs comme lui, qui ont un grand talent, ont changé de boulot, a-t-il déclaré après la victoire sur le Pérou. Son boulot, ce n’est plus de jouer au foot, mais de fermer des bouches. » Sous-entendu : de faire taire les journalistes qui auraient l’indélicatesse de proférer la moindre critique.

Moins virulent, le même Pogba a poursuivi ses conseils aux journalistes quelques jours plus tard en conférence de presse. « Touchez pas à mon Grizou ! », a-t-il ainsi demandé avec le sourire. Coiffé d’une casquette de la Fédération française de football, le milieu de terrain en appelle à de la mansuétude envers Antoine Griezmann, attaquant qui, comme Kylian Mbappé, a lui aussi commencé la Coupe du monde un ton en dessous de ses capacités. « Grizou, il a ses qualités, vous le savez. »

Ces réactions ont une origine, selon Frank Hocquemiller, à la tête d’une agence spécialisée dans la gestion des droits d’image. Elles s’expliquent parfois, selon lui, par un traitement très versatile. « La presse va s’enflammer pour un joueur en deux minutes. Puis elle n’hésitera pas à brûler le même joueur dans un match s’il manque une occasion… » A la décharge des footballeurs, le conseiller ajoute qu’une Coupe du monde exacerbe forcément les susceptibilités. « En pleine compétition, ce n’est pas facile d’accepter la critique et de jongler avec tout ça au quotidien. »

Suivant ce raisonnement, plusieurs joueurs ont déjà ouvertement demandé aux journalistes de devenir un peu supporteurs. « Même si vous êtes taquins (…), on va compter sur vous au fil de la compétition pour nous encourager », espère l’attaquant Olivier Giroud, remplaçant face aux Australiens, et bien moins épargné dans les articles qu’un Kylian Mbappé. Même demande de la part du défenseur Raphaël Varane : « Si vous pouviez être plus positif, ce serait cool. »

Interdépendance

Les questions d’affect ont toujours existé. Après le triomphe des Bleus au Mondial 1998, le quotidien L’Equipe a, par exemple, présenté ses excuses à Aimé Jacquet, sélectionneur longtemps bafoué. Depuis, Internet a encore amplifié la couverture du football, non sans dégâts collatéraux. Frank Hocquemiller dénonce la tentation actuelle, chez certains journalistes, de « rechercher le buzz en permanence » : « Il m’arrive de recevoir des alertes sur mon téléphone portable avec des articles titrés : “Untel a dit quelque chose d’extraordinaire.” En fait, il n’a rien dit du tout… »

Les logiques économiques ont aussi renforcé une forme d’interdépendance. « Les médias font partie du sport, sans eux le football serait moins regardé et il y aurait moins d’argent », rappelle Eric Carrière. Ils contribuent à « faire et défaire des réputations », ajoute Karim Souanef, maître de conférences en sociologie à l’université de Lille, qui prépare un ouvrage sur le journalisme de sport. « Bien que de nombreuses contraintes pèsent sur le métier, le journalisme sportif exerce bien un pouvoir sur le football professionnel, estime-t-il. Pogba et d’autres montrent avant tout que les sportifs surveillent la parole médiatique. Ils sont, comme les comédiens, les responsables politiques, les patrons d’entreprise, sensibles à leur image. »

A l’âge d’Internet, les Bleus nouvelle génération ont aussi trouvé une autre façon de communiquer. Les réseaux sociaux offrent autant de canaux de communication qu’ils peuvent contrôler de bout en bout. Sans question gênante. Parfois raillée, cette volonté de mise en scène à tout prix se retrouve aussi dans la « PogSérie », une série de vidéos dans lesquelles Paul Pobgba apparaît comme il l’entend sur Canal+. Le jour de l’ouverture du Mondial, Antoine Griezmann diffusait aussi sa propre vidéo sur la chaîne espagnole Movistar pour une annonce importante : il restera à l’Atlético Madrid la saison prochaine, malgré la convoitise du FC Barcelone. Deux jours plus tôt, le joueur refusait de s’exprimer sur le sujet en conférence de presse.