Début juin, l’Armée populaire de libération (APL) a confirmé que le premier Forum sino-africain sur la défense et la sécurité se tiendra à Pékin du 26 juin au 10 juillet. Le porte-parole de l’armée, Ren Guoqiang, a expliqué qu’il s’agissait d’« approfondir le partenariat stratégique et de répondre aux besoins de sécurité et de défense de l’Afrique ».

A quelques semaines d’un sommet Chine-Afrique aux accents politiques, en septembre à Pékin, ce forum militaire est une nouvelle preuve de l’engagement multiforme de la République populaire sur le continent. L’heure n’est plus seulement aux engagements financiers : la Chine dessine une stratégie d’influence mondiale dans laquelle l’Afrique est centrale.

Le premier objectif de ce forum est de mettre en place des mécanismes de coopération et de financement des armées africaines. Il s’agit clairement de former les officiers du continent et d’affirmer une image de puissance mondiale. Pékin va ainsi ouvrir les portes de ses commandements terre-mer-air aux Africains, promouvoir ses armements et montrer ses muscles.

« Pour accroître son influence dans le domaine militaire, Pékin organise des formations pour les officiers africains qui peuvent suivre des cursus en Chine, en français ou en anglais. Le coût est pris en charge par Pékin. Cela permet de tisser un réseau parmi les futures élites africaines », rappelle le colonel Jérôme Pellistrandi, rédacteur en chef de la Revue défense nationale.

Une version bon marché de l’AK-47

Autre aspect de cette coopération militaire, la vente d’armes chinoises. Que ce soit en République démocratique du Congo (RDC), au Soudan ou en Centrafrique, on ne voit plus de conflit en Afrique sans armes chinoises, dont le rustique et bon marché fusil Type 56, version chinoise de l’AK-47. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, en 2013, les ventes d’armes chinoises à l’Afrique ont ainsi augmenté de 55 %, selon un rapport du Stockholm International Peace Research Institute (Sipri).

« La vente récente de blindés au Sénégal a montré que Pékin devenait un concurrent sérieux, analyse le colonel Pellistrandi. Pékin ne met pas de condition politique aux ventes, alors que les pays occidentaux doivent prendre en compte une opinion publique sensible aux droits humains et donc obligeant à ne pas fournir certains Etats peu démocratiques. Pékin ne veut pas s’immiscer dans les affaires intérieures et se trouve ainsi récompensé. »

La Centrafrique a ainsi commandé au groupe étatique chinois Poly Technologies des véhicules blindés, mitrailleuses, grenades et autres armements, mais la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis s’y sont opposés. Si Bangui affirme avoir besoin d’armements, c’est l’usage qui peut être fait de ces armes qui inquiète ces pays. C’est aussi le reflet d’une défiance grandissante des Occidentaux envers la Chine.

Pékin a ouvert sa première base militaire en Afrique en 2017, à Djibouti. Sur place, la cohabitation avec les troupes françaises et surtout américaines semble compliquée, comme l’indiquent les accusations de Washington selon lesquelles des lasers chinois auraient aveuglé des pilotes de l’US Air Force lors de manœuvres militaires en mai. La Chine maintient que cette base de Djibouti sert d’appui logistique et n’héberge que 240 militaires, alors que certaines sources en évoquent beaucoup plus.

Projets civils, ambitions militaires

A observer l’histoire récente, cette montée en puissance de l’armée chinoise sur le continent n’est guère une surprise. Une première commission de l’APL a été mise en place dès 1998 pour définir cette stratégie militaire. La même année, un « livre blanc » a été publié par le Conseil des affaires d’Etat, qui recommandait d’accroître les ventes d’armes et les formations militaires aux pays africains. Et en juillet 1999, une nouvelle organisation des services secrets a été mise en place, avec l’ouverture de cinq bureaux régionaux du Guoanbu, le ministère de la sécurité d’Etat, en Egypte, au Soudan, au Nigeria, en Angola et en Afrique du Sud.

Les grandes entreprises d’Etat, comme les pétroliers CNPC et Cnooc ou le transporteur maritime Cosco, sont également mises à contribution pour faire notamment du renseignement, dessinant une nouvelle stratégie globale d’influence. En 2015, le principe « civil puis militaire » a été mis en avant par l’Université des relations internationales, antichambre des services secrets. L’idée étant de construire des ports à l’étranger qui auront d’abord un rôle commercial puis pourront éventuellement servir à des fins militaires.

Cette stratégie est à l’œuvre aujourd’hui avec les nouvelles « routes de la soie ». C’est d’ailleurs le Guoanbu qui a obtenu de l’Etat la sécurisation des chantiers de ce gigantesque programme d’infrastructures estimé à 1 000 milliards de dollars (plus de 850 milliards d’euros). Depuis son lancement il y a cinq ans, 34 milliards de dollars ont déjà été débloqués, notamment en Afrique, mais la protection de ces programmes est un véritable casse-tête. Le forum de Pékin sera l’occasion de passer en revue cette articulation entre projets civils et ambitions militaires.

« La France doit être vigilante face à un concurrent redoutable qui peut financer ses projets militaires et répondre aux attentes de certains leaders africains, avertit le colonel Pellistrandi. L’influence de Pékin est en train de grandir, à travers un réseau d’affidés qui soutiendront les positions chinoises sur la scène internationale. »

Sous la bannière des Nations unies

Le dernier point concerne l’engagement chinois dans des actions multilatérales. Si la Chine soutient du bout des lèvres le G5 Sahel sans y contribuer directement, elle s’engage en revanche sous la bannière de l’ONU, devenant même le premier contributeur de casques bleus parmi les membres permanents du Conseil de sécurité. Une force de 8 000 hommes est en attente, prête à intervenir sous mandat de l’ONU, et les premiers hélicoptères chinois, quatre Mi-171, ont été déployés au Soudan du Sud. Pékin a également offert une aide militaire de 100 millions de dollars à l’Union africaine.

« Cette participation permet de montrer que la Chine assume ses responsabilités internationales sous mandat de l’ONU, conclut le colonel Pellistrandi. Ce type d’opérations donne une bonne image de marque sans risque excessif. Il ne faut pas oublier que Pékin a peu d’expérience récente de la guerre et doit faire un apprentissage opérationnel. »