Des réfugiés hutu saluent les officiers de marines français arrivant dans un camp, le 3 juillet 1994. / HOCINE ZAOURAR / AFP

C’est le deuxième militaire français ayant participé à l’opération « Turquoise » en juin 1994 au Rwanda à relancer le débat. Un ex-aviateur français ayant pris part à l’opération militaro-humanitaire lancée le 22 juin 1994 sous mandat de l’Organisation des nations unies (ONU) pour tenter de mettre fin aux massacres conteste son caractère strictement humanitaire dès le départ. Il affirme que les militaires français étaient préparés à « frapper » les troupes du Front patriotique rwandais (FPR), dans un entretien lundi 25 juin au journal La Croix.

L’homme, qui a souhaité garder l’anonymat, a fait toute sa carrière dans l’armée de l’air, selon La Croix. Il s’agit du deuxième militaire français à relancer le débat, après la parution du livre Rwanda, la fin du silence, de l’ex-officier Guillaume Ancel.

Paul Kagame, le président rwandais, qui dirigeait le FPR, qui a pris le pouvoir à Kigali quelques jours avant la fin du génocide (perpétré d’avril à juillet 1994), accuse les autorités françaises d’avoir soutenu le pouvoir hutu et d’avoir été ainsi un acteur des tueries qui ont fait, selon l’ONU, quelque 800 000 morts, essentiellement parmi la minorité tutsi. Paris a toujours démenti toute implication dans les massacres.

« [Ancel] n’est pas un affabulateur »

M. Ancel assure que les troupes envoyées par Paris avaient pour mission de « stopper le FPR, donc [d’]empêcher la victoire de ceux qui combattaient les génocidaires ». « Il [Ancel] n’est pas un affabulateur pour ce que j’ai vu de “Turquoise”. C’est pourquoi il m’est apparu juste d’apporter mon témoignage », déclare l’ex-aviateur français.

Prépositionné dans une base française en Afrique, il débarque à Kisangani (en République démocratique du Congo voisine) avec les premiers éléments de la chasse française, selon ses propos rapportés par La Croix.

Interrogé pour savoir s’il y avait eu, à sa connaissance, une directive pour intervenir à Kigali, il répond :

« Non. Mais pour nous, nous étions là pour faire la guerre. Nous étions sur le point de frapper les rebelles [troupes du FPR] (…) L’armement qui arrivait sur la base nous confortait dans cette perspective. »

Selon lui, les équipages sont convoqués à la nuit tombée le 30 juin 1994. « Vous allez intervenir au petit matin pour “bloquer” les rebelles, car la tension monte sur le terrain », leur dit-on, rapporte La Croix.

Le 1er juillet, « les deux premiers Jaguar décollent pour la zone de conflit, “canons armés” (…) ils s’étaient envolés pour faire leur métier : appuyer nos troupes au sol en frappant les rebelles », dit l’ex-aviateur, qui ajoute que, finalement, l’autorisation « n’a pas été donnée ». « La mission est annulée et les Jaguar rentrent à leur base. »

Pour l’ex-militaire, cette action est apparue au dernier moment aux yeux des décideurs comme contrevenant au mandat donné par les Nations unies à « Turquoise ».

Une « ineptie » pour le général Jean-Claude Lafourcade

Réagissant dans La Croix, le général français Jean-Claude Lafourcade, alors commandant de l’opération « Turquoise », qualifie d’« ineptie » ce nouveau témoignage et celui de Guillaume Ancel, affirmant que ce dernier « ne s’appuie que sur ses propres déclarations, non sur des documents, des ordres, des preuves matérielles ».

« Nous ne nous sommes pas engagés en juin dans l’optique de stopper le FPR et de rétablir le gouvernement provisoire à Kigali, comme il l’affirme. La bascule entre la mission offensive et la mission humanitaire qui aurait eu lieu sur ordre de l’Elysée, le 1er juillet, n’existe que dans son imagination », ajoute-t-il.

Selon le général, à la mi-juin, « les militaires ont échafaudé des hypothèses. (…) Elles ont été soumises à l’exécutif » français, qui a « décidé de ne pas se lancer dans une offensive mais de prendre position » en République démocratique du Congo « pour aller, en toute neutralité, le moins possible à l’intérieur du Rwanda ».

Interrogé pour savoir s’il était informé dès le début de l’opération « Turquoise », à la fin de juin, que le gouvernement intérimaire rwandais (GIR) était génocidaire, le général réplique : « Non, je ne le sais pas (…) Quand j’interviens, je sais qu’un génocide est en cours, mais je ne sais pas qui, du GIR, des unités des FAR [Forces armées rwandaises] et des miliciens, le commet. »

« Avant de partir, on aurait peut-être dû nous dire : “Attention, c’est un gouvernement génocidaire !” Mais personne ne nous l’a dit. Ni l’ONU ni la communauté internationale. »