Au stade Azadi de Téhéran, lundi 25 juin. / ATTA KENARE / AFP

Rarement élimination aura été autant fêtée. Un concert de klaxons est monté dans la nuit de Téhéran, lundi 25 juin, après le match nul de l’Iran contre le Portugal (1-1) auquel des milliers d’Iraniens ont assisté sur écran géant au stade Azadi. Pour la deuxième fois depuis la révolution de 1979 et l’établissement de la République islamique d’Iran, cette foule était mixte. La première avait eu lieu quatre jours plus tôt, pour le match face à l’Espagne.

Peu importe si la Team Melli a dit au revoir à son rêve de huitième de finale, hommes et femmes ont chanté et dansé sur les mélodies festives s’échappant des fenêtres des voitures, comme après la victoire sur le Maroc (1-0) en ouverture de la compétition.

Dans l’immense stade Azadi, enceinte de 100 000 places située dans l’ouest de Téhéran, les femmes n’ont pas boudé l’autorisation qui leur était faite d’entrer, pour beaucoup accompagnées d’hommes. « Je ne connaissais même pas cette partie de Téhéran, assure Ava, 21 ans, qui fait la queue pour acheter son billet. Je n’en reviens toujours pas d’être là. » Venue au match avec son père et sa sœur, elle a fait peindre le drapeau iranien sur ses joues.

« Les portes doivent rester ouvertes »

Les sifflets retentissent avant même l’entrée au stade. A l’intérieur, les hommes expliquent les rudiments du supportérisme aux femmes, qui rejoignent la ola, s’agacent de ceux qui ne veulent pas lâcher leur sifflet pendant le match et se lèvent à chaque offensive. Chaque apparition à l’écran du sélectionneur de la Team Melli, le Portugais Carlos Queiroz, met la foule en émoi : c’est lui qui a fait de l’Iran une équipe à même de tenir tête aux champions d’Europe. 

« Disons que je trouve que les femmes sont un peu trop excitées, dit Nima, 20 ans, qui jette un regard entendu à sa copine Kimia. Mais je les comprends en même temps. C’est très bien qu’elles puissent voir le match au stade. » Kimia, étudiante en anglais, a plusieurs fois failli se grimer en garçon pour passer les contrôles et venir voir un match : « Mais j’avais peur d’être arrêtée. Finalement, j’y ai renoncé. Il y avait trop de risques. »

Les femmes pourront-elles continuer à aller au stade, pour voir des footballeurs sans écran interposé ? Sahar, 21 ans, venue à Azadi avec sa mère, veut y croire : « Il n’y a plus de “il ne faut pas”, dit-elle. Les portes doivent rester ouvertes. » En Russie, les réalisateurs des matchs ont montré de nombreuses images de supportrices iraniennes en tribunes.

Beaucoup de quotidiens iraniens ont repoussé leur bouclage après minuit afin de saluer dans leurs pages la nouvelle performance de la sélection, quelle que soit leur tendance politique. « La tête haute », a titré le quotidien réformateur Etemaad tandis que le conservateur Vatan-é Emrooz met en avant « l’épopée et le regret ».

Au stade Azadi de Téhéran, lundi 25 juin, lors du match de l’Iran contre le Portugal. / ATTA KENARE / AFP

Ces scènes de célébration collective, si rares en Iran, surviennent alors que des manifestants ont occupé lundi le centre de Téhéran et que les commerçants du grand bazar de la capitale ont fermé leurs boutiques, tous protestant contre la dépréciation drastique de la monnaie iranienne. En cinq mois, le rial a perdu 50 % de sa valeur contre le dollar, suscitant une vraie inquiétude chez les Iraniens qui y voient une guerre économique lancée par les Etats-Unis contre leur pays, mais aussi l’inefficacité du gouvernement à gérer la situation.

« Un nul qui compte comme une victoire »

« Parmi tant d’angoisses pour l’avenir de l’Iran, notre peuple a pu oublier, pendant quatre-vingt-dix minutes, tous les problèmes, note le quotidien Ghanoon. Le match s’est achevé sur un nul mais pour les Iraniens, il constitue une victoire. »

D’autant plus au vu des conditions délicates de préparations des Iraniens, dont l’équipementier, le groupe américain Nike, a refusé au dernier moment de fournir des chaussures. En cause : le renforcement des sanctions américaines vis-à-vis de Téhéran, à la suite du retrait unilatéral de Washington, en mai, de l’accord sur le nucléaire iranien signé en 2015.

La décision de Nike a suscité une profonde indignation chez les Iraniens, dont certains demandent le boycottage de la marque. Les sanctions « posent problème lorsque nous voulons réserver des chambres d’hôtel, des billets d’avion, acheter des équipements ou organiser des matchs de préparation », a dénoncé Carlos Queiroz lors d’un entretien accordé à la chaîne BBC Persian, diffusée en persan depuis Londres.