Pour Paris, en tout cas, il n’était pas question que ce sujet de l’élargissement, très controversé dans l’Hexagone, fasse perdre des points au président Emmanuel Macron. / Kai Pfaffenbach / REUTERS

La France a obtenu ce qu’elle voulait. Si l’Union européenne s’est engagée, mardi 26 juin à Luxembourg, à ouvrir un processus officiel d’adhésion de l’Albanie et de l’Arym (ex-République yougoslave de Macédoine), cela ne se fera pas avant les élections européennes de mai 2019. Et pas avant que les deux pays aient progressé dans leur lutte contre la criminalité et la corruption, ainsi que dans l’amélioration du fonctionnement de leurs systèmes judiciaires.

« Nous avons choisi une voie réaliste étant donné que les questions liées à l’élargissement sont délicates dans de nombreux pays » a affirmé Frans Timmermans, le premier vice-président de la Commission européenne. La décision officielle d’ouverture des négociations se fera sur la base d’une évaluation par la Commission et un entérinement, à la fin de 2019, par une conférence intergouvernementale qui devra se prononcer à l’unanimité des Vingt-Sept – le Royaume-Uni aura normalement quitté l’Union. C’est alors seulement que pourra être ouverte la négociation sur les 35 chapitres de « l’acquis communautaire », le corpus qui contient les droits et les obligations des Etats membres.

Pour Paris, en tout cas, il n’était pas question que ce sujet de l’élargissement, très controversé dans l’Hexagone, fasse perdre des points au président Emmanuel Macron. Les Pays-Bas, où l’opinion se montre également hostile à tout élargissement – notamment à la Turquie –, ont appuyé la position française. D’où le climat très tendu dans lequel s’est déroulée la réunion des ministres des affaires européennes et la « naissance difficile », selon la formule du ministre allemand Michaël Roth, d’un consensus. Le ministre luxembourgeois Jean Asselborn a joué les médiateurs pour éviter l’étalement de nouvelles divisions européennes et forcer une négociation de dix heures.

« Nous devons prendre nos responsabilités. Je considère que ce serait une faute politique de ne pas prendre une décision claire et nette aujourd’hui », avait déclaré M. Asselborn, soulignant qu’un signal négatif de l’Union risquait de compromettre le tout récent accord « historique » entre Skopje et Athènes. L’Arym, considérée comme la plus avancée dans la voie de l’adhésion, devra entériner par un référendum cet accord conclu à la mi-juin pour transformer le nom du pays en « République de Macédoine du Nord ». Le résultat de cette consultation demeure incertain, compte tenu de l’opposition du camp nationaliste. Or, si le gouvernement macédonien ne parvient pas à faire passer la révision constitutionnelle, « l’invitation de l’OTAN [sera] annulée et les négociations avec l’UE ne [bougeront] pas », a prévenu le premier ministre grec, Alexis Tsipras.

« Des efforts énormes »

Reste la question posée par la France et les Pays-Bas : la simple allusion à un éventuel feu vert pour de nouvelles adhésions qui créerait une Europe à 29 membres ne risque-t-elle pas d’alimenter davantage le discours populiste ? En France, en tout cas, la droite a jusqu’à présent été plutôt hostile à tout élargissement et tout le débat sur le travail détaché a montré que l’opinion publique n’a pas encore complètement digéré les élargissements de 2007 (Bulgarie et Roumanie) et surtout de 2004, quand dix pays (dont la Pologne et la Hongrie) ont intégré d’un seul coup l’ensemble communautaire. Ces vagues, mal préparées, ont, de l’avis de beaucoup, contribué à bien des difficultés que connaît aujourd’hui l’Union.

Paris résiste depuis plusieurs années déjà aux tentatives d’élargissement, considérant qu’à vingt-huit, l’Europe est déjà largement ingouvernable. M. Macron a, par ailleurs, réclamé une réforme de la Commission, suggérant que le nombre de ses commissaires (un par pays) devait être réduit. « Je ne défendrai un prochain élargissement que lorsqu’il y aura un approfondissement et une amélioration de notre Europe », avait affirmé le président en avril dernier, à Strasbourg. L’idée d’une réduction du nombre des commissaires a été reprise ensuite par la chancelière Merkel et figure même dans la déclaration de Meseberg, qui a conclu la réunion entre les dirigeants des deux pays, mardi 19 juin, en Allemagne.

« Nous devons reconnaître que l’Albanie et la Macédoine ont accompli des efforts énormes. J’appelle la France et les Pays-Bas à faire preuve de bonne volonté (…). La stabilité, la paix et la démocratie dans les Balkans occidentaux sont un enjeu crucial pour nous tous », avait, cependant, insisté le ministre allemand des affaires européennes avant la réunion de Luxembourg. Berlin, comme beaucoup d’autres capitales, plaide pour le processus d’adhésion qu’elle voit comme un facteur de stabilisation pour une région restée fragile après les guerres en ex-Yougoslavie, dans les années 1990. Une région soumise, par ailleurs, aux influences contradictoires de la Russie, des Etats du Golfe, de l’Arabie saoudite et de la Turquie.

Cette dernière ne devrait d’ailleurs pas tarder à se manifester : le président Recep Tayyip Erdogan, réélu dimanche, a confirmé, en février dernier, qu’il réclamait une « pleine adhésion » à l’Europe. Il ne verra sans doute pas d’un bon œil ce nouveau signal adressé aux Balkans alors que le processus d’adhésion de la Serbie et du Monténégro se poursuit – il a été ouvert en 2012 – et qu’une « perspective » est désormais offerte aux Albanais et aux Macédoniens, tandis que l’Europe propose, au mieux, un « partenariat » ou une « coopération » à son pays.