Bernard Lama avec Christian Karembeu, lors d’un match de préparation à la Coupe du monde, en avril 1998. / GABRIEL BOUYS / AFP

Mercredi 24 juin 1998, Lyon, stade de Gerland. Pour leur dernier match de poule, les Bleus affrontent le Danemark. Pas de pression : après leur victoire face à l’Afrique du Sud (3-0) et à l’Arabie saoudite (4-0), ils sont déjà qualifiés pour les huitièmes de finale. Aimé Jacquet, le sélectionneur national, va pouvoir mettre au repos ses titulaires, comme Lilian Thuram ou Laurent Blanc, et aligner des « coiffeurs » (des remplaçants dans le jargon footballistique) qui pourront s’enorgueillir de dire : « Oui, j’ai joué la Coupe du monde. » Ainsi, Frank Lebœuf, Vincent Candela, Patrick Vieira ou encore Bernard Diomède ont cette chance inespérée de faire parti du onze de départ et de batailler contre les redoutables Danois menés par Peter Schmeichel et Michael Laudrup.

Mais un garçon de 35 ans va faire un choix étonnant, celui de ne pas fouler le gazon lyonnais : pas question pour lui de participer à ce troisième match. Le doyen des joueurs de l’équipe de France, Bernard Lama, est, depuis le début de la compétition, en retrait. Fâché ? Enervé ? Non, bien au contraire, il est détendu comme jamais. « Mais ma Coupe du monde médiatique est terminée depuis longtemps », dit-il. Peu avant le début du Mondial, le 26 mai, le Guyanais a su qu’il ne serait pas le gardien titulaire et qu’il devrait se contenter d’être la doublure de Fabien Barthez. « Je l’ai appris au Maroc, lors du dernier stage, se souvient-il. C’est Philippe Bergeroo [adjoint d’Aimé Jacquet] qui me l’a annoncé. Cela n’aurait jamais dû être lui. »

Cette nouvelle a été « difficile à encaisser » se rappelle-t-il. Comment lui en vouloir ? Deux ans auparavant, il avait été le portier no 1 lors de l’Euro 1996 en Angleterre (demi-finaliste). Mais, quelques semaines plus tard, il se blesse au genou, puis une suspension de deux mois pour un contrôle positif au cannabis en 1997 le met hors jeu. D’autant qu’il a du mal à s’imposer à West Ham, son nouveau club. « Avant tout cela, j’étais “in the zone, je ne touchais plus terre, j’étais capable de tout anticiper et de tout voir, c’était une sensation extraordinaire, explique-t-il. Mais voilà, avant ma blessure, j’étais titulaire de l’équipe de France, et quand je suis retourné en équipe de France, il y avait un autre titulaire. Il n’y a jamais eu de concurrence entre les deux gardiens. »

« La presse m’opposait à Barthez »

Il avait encore un espoir de recouvrer sa place, mais le sélectionneur a fait un choix, « et ce choix a toujours été respecté, insiste Bernard Lama. « Il y avait un contexte médiatique qui était lourd, et la presse m’opposait à Barthez alors qu’en réalité n’y avait pas d’opposition sportive entre nous. »

Bernard Lama accepte la sentence. « J’ai dit à Fabien que s’il avait besoin de moi, j’étais là », rappelle l’ancien gardien de but du PSG. Puis, c’est la rupture : « J’ai déclaré à la presse que j’allais continuer à me préparer au cas où. Ça s’est transformé en “Lama n’accepte pas d’être remplaçant”. A partir de ce moment-là, je suis resté dans mon coin. C’était un combat contre la presse que je ne pouvais pas gagner. »

Il se met au service de Barthez, l’échauffe pour qu’il soit dans les meilleures conditions possibles. « Même mon président de club m’a dit que j’en faisais trop », sourit-il. Il se met à filmer avec sa petite caméra « sa » Coupe du monde, qu’il diffuse en partie sur son site personnel ; il organise même des tchats avec des internautes. Il reste le « grand frère » qui console Ibrahim Ba ou Sabri Lamouchi recalés de la liste finale des vingt-deux sélectionnés pour le Mondial. Celui qui empêche Christian Karembeu de quitter le groupe lorsque le défenseur apprend qu’il ne sera pas titulaire, alors qu’il vient de remporter la Ligue des champions avec le Real Madrid.

« C’est l’intérêt général qui compte »

Le troisième match se profile. Bernard Lama a enfin une discussion avec Aimé Jacquet. « Et je me sens plus léger », raconte-t-il. Consciemment, il estime qu’il est préférable de ne pas défendre les cages contre le Danemark. « Je ne choisis pas de ne pas jouer, je choisis de gagner, rectifie-t-il. Il était hors de question que je sois un sujet perturbant pour le groupe ; les deux gardiens pouvaient perdre dans cette histoire. Tout ce que j’aurais pu dire aurait été détourné et modifié par la presse. En outre, Fabien n’avait pas d’expérience en compétition internationale. » Puis, il ajoute avec une sagesse déroutante : « Gagner cette Coupe du monde nécessitait que je ne sois pas sur le terrain : c’est ça le sport. Etre champion, ce n’est pas toujours finir premier. C’est celui qui sait accepter les éléments de la vie, de se faire mal, accepter de ne pas faire telle chose parce que c’est l’intérêt général qui compte, c’est ça le sport collectif. C’est aussi un don de soi. »

Résultat, la France s’impose 2-1 face au Danemark, avec Barthez dans les buts. Deux ans plus tard, lors de l’Euro aux Pays-Bas et en Belgique, Bernard Lama jouera bien le troisième match, dans un tout autre contexte : « Cette fois-ci, Fabien avait l’expérience internationale et le contexte médiatique n’était plus le même. » Le résultat final de la compétition sera quant à lui le même qu’en 1998 : une victoire pour l’équipe de France.

On refait France 98

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Episode 3 : Bernard Lama, le sens du collectif et du sacrifice