En Algérie, le président Bouteflika limoge le chef de la police sur fond de lutte des clans
En Algérie, le président Bouteflika limoge le chef de la police sur fond de lutte des clans
Par Amir Akef (Alger, correspondance)
Présenté comme un possible successeur du chef de l’Etat, Abdelghani Hamel avait critiqué l’enquête menée par la gendarmerie après une saisie record de cocaïne.
L’annonce est venue d’un communiqué laconique de la présidence. Le général major Abdelghani Hamel, directeur général de la sûreté nationale algérienne (DGSN), a été limogé, mardi 26 juin, par le président Abdelaziz Bouteflika et remplacé par le patron de la protection civile, le colonel Mustapha El-Habiri.
Proche du clan présidentiel et souvent présenté comme candidat possible à la succession de M. Bouteflika, le général Hamel avait pris la tête de la Garde républicaine en 2008, avant d’être nommé à la tête de la police nationale en 2010. Grâce à sa proximité avec le chef de l’Etat, ce natif de Sabra, près de la frontière marocaine, avait maintenu à son poste après la révolte sans précédent des policiers en automne 2014.
Aucune explication officielle n’a été donnée à ce limogeage intervenu quelques heures après des déclarations très remarquées du général Hamel. Celui-ci avait critiqué des « dépassements » dans l’enquête préliminaire autour d’une saisie record de 701 kg de cocaïne effectuée le 29 mai au port d’Oran.
« Kamel le boucher »
L’opération avait été conduite par les seuls corps de l’armée algérienne (garde-côtes, gendarmerie), la police ayant été tenue ostensiblement à l’écart. Elle s’était soldée par l’arrestation d’un importateur de viande devenu également un important promoteur immobilier, Kamel Chikhi. La drogue saisie était cachée dans des boîtes de conserve chargées dans des conteneurs en provenance du Brésil via Valence, en Espagne. Celui que la presse surnomme « Kamel le Boucher » avait pris l’habitude de filmer les personnages influents qu’il soudoyait. Une « assurance », au cas où, et un « matériel » qui constitue une aubaine pour les enquêteurs.
L’affaire des 701 kg de cocaïne est en train de devenir une mine d’or pour les enquêteurs des services de la gendarmerie, soulevant d’autres affaires de favoritisme et de trafic d’influence impliquant des fonctionnaires, notamment des magistrats. Le ministre de la justice, Tayeb Louh, a indiqué lundi que quatre enquêtes étaient ouvertes contre Kamel Chikhi, dont deux pour « trafic d’influence » et une pour « blanchiment d’argent ».
Selon le garde des sceaux, les perquisitions opérées ont permis de révéler d’autres affaires, notamment dans le domaine de l’immobilier. L’exploitation des vidéos, CD et téléphones portables de « Kamel le Boucher » a conduit à l’arrestation de magistrats, de hauts fonctionnaires et de proches de hauts responsables. Le ministre, qui a évoqué d’autres inculpations à venir, a promis que « la justice sera impitoyable ».
Des révélations publiées dans la presse ont mis en cause de manière quasi directe le patron de la police. Selon ces informations, le chauffeur personnel du chef de la police et le fils de l’ancien premier ministre Abdelmadjid Tebboune ont été entendus dans l’affaire des 701 kg de cocaïne. Dans un communiqué, la DGSN a réagi en dénonçant une « pure affabulation », tout en précisant qu’il s’agissait d’un chauffeur « des services du parc automobile de la direction, et non pas du chauffeur personnel du directeur général de la sûreté nationale ».
« Dépassements »
C’est sans doute à ces accusations que le général Hamel faisait référence en dénonçant, mardi matin, les « dépassements » dans l’enquête préliminaire menée par la gendarmerie, ajoutant : « Celui qui veut lutter contre la corruption doit être propre. » La remarque de trop ? Le même jour, le chef d’état-major et vice-ministre de la défense nationale, le général Ahmed Gaïd Salah, s’était félicité des efforts fournis par les Forces navales afin d’intercepter la drogue au port d’Oran.
Ces éléments sont suffisants pour que les Algériens évoquent une exacerbation des « luttes de clans », alors que des partis liés au pouvoir appellent le président Bouteflika à briguer un cinquième mandat. Cette confrontation à distance entre les chefs de l’armée et de la police a pris fin avec le limogeage du second. Le candidat putatif du clan présidentiel à la succession du président Bouteflika – en cas de force majeure – semble désormais éliminé de la course.