Les deux cheminées de l’incinérateur d’Ivry, en 2017. / JOEL SAGET / AFP

La reconstruction de l’usine d’incinération d’Ivry-Paris 13e, dans le Val-de-Marne, va-t-elle rejoindre la liste des « grands chantiers inutiles » voués à la contestation ? Alors que les premières consultations sur le devenir du site remontent au début des années 2000, l’échéance se rapproche pour ce futur équipement à plus d’un milliard d’euros. L’enquête publique vient de prendre fin, lundi 25 juin. C’est la dernière étape avant d’éventuelles autorisations préfectorales.

Dans la banlieue sud-est de Paris, l’actuel centre de traitement d’Ivry-sur-Seine, construit en 1969, crache sans discontinuer des nuées d’ordures brûlées : près de 700 000 tonnes de déchets ménagers sont consumées dans ses fourneaux chaque année, en provenance de 15 communes dont Paris. Il s’agit du plus grand incinérateur d’Europe. L’une de ses deux cheminées qui surplombent le boulevard périphérique dégage une traînée blanchâtre dans le ciel, l’autre non. Elle est momentanément à l’arrêt pour cause de maintenance : les périodes de contrôle de l’installation s’accroissent, à l’aube de son demi-siècle d’existence.

Le jeudi 14 juin, une réunion publique a rassemblé à l’Espace Robespierre d’Ivry, habitants, élus, associations et représentants du Syndicat intercommunal de traitement des ordures ménagères (Syctom), maître d’ouvrage de la future installation. « Nous avons plus que jamais besoin d’une nouvelle usine pour garantir la continuité du service public de traitement des déchets », glisse, dans son micro, Jacques Gautier (LR), maire de Garches et président du Syctom. Ce syndicat regroupe 84 communes d’Ile-de-France, il gère les déchets de 5,7 millions d’habitants – soit la moitié de la population francilienne, et 10 % des déchets ménagers du pays.

« L’impertinence d’un projet coûteux »

Une unité de valorisation énergétique (UVE) pourrait ainsi voir le jour à l’horizon 2023. Dans cette optique, le Syctom a conclu un marché avec le groupement d’entreprises IP13, composé de Suez Environnement, Vinci et Hitachi Zosen Inova. Le coût d’investissement et d’exploitation jusqu’en 2037 s’élève à 1,152 milliard d’euros, taxes comprises, d’après le Syctom. Elle permettrait d’incinérer 350 000 tonnes de déchets par an, moitié moins que l’unité actuelle, car nos habitudes dans ce domaine sont appelées à changer. « Nous nous inscrivons ainsi dans des perspectives d’évolution de tonnage volontaristes », estime Jacques Gautier.

Volontaristes ? Flore Berlingen, directrice de l’association Zero Waste France, dénonce au contraire « l’impertinence d’un projet coûteux ». Son association est loin de partager la vision de la gestion des ordures portée par le Syctom. « Nous devons réduire drastiquement la quantité de déchets incinérés en région parisienne, assure-t-elle. Actuellement, 75 % du contenu d’une poubelle envoyé à l’incinérateur est recyclable ou compostable. La marge de manœuvre est importante. Si nous accompagnons la réduction et le tri des déchets, nous n’aurons pas besoin de cette usine. » La militante rappelle en outre qu’une autre unité de tri et de préparation des déchets avant l’incinération est encore à l’étude et pourrait venir compléter le site à partir de 2027. Les deux usines pèseraient alors deux milliards d’euros de deniers publics.

Zero Waste France et le Collectif 3R, soutenus par des associations locales et nationales, proposent une voie alternative : le plan « Baisse des ordures ménagères » (B’OM), qui repose sur les principes de l’économie circulaire. L’idée ? Diminuer suffisamment la quantité d’ordures ménagères à brûler en Ile-de-France, pour qu’elles puissent être entièrement prises en charge par les deux autres usines du Syctom, en service à Issy-les-Moulineaux et à Saint-Ouen.

328 kg par habitant

« C’est certainement plus simple de construire une usine que de dépenser de l’énergie et du courage politique pour bousculer les habitudes, souffle Flore Berlingen. Mais contrairement aux apparences, l’usine n’apporte pas de solution clés en main. L’incinération n’est pas très pourvoyeuse d’emplois. » Selon les prévisions des associations, comparé à la reconstruction d’un tel équipement, le plan B’OM permettrait de créer 23 % d’emplois en plus en 2023 et 61 % en 2030.

« Grâce à cela, nous serions en phase avec les objectifs légaux de recyclage et de tri, explique Flore Berlingen. C’est loin d’être le cas pour le moment. Les actuelles prévisions de collecte sont en contradiction avec la loi de transition énergétique pour la croissance verte [LTECV], qui demande 10 % des déchets ménagers en moins d’ici 2020 et 65 % de recyclage d’ici 2025. » Actuellement sur le territoire du Syctom, la quantité de déchets non triés s’élève à 328 kg par habitant, alors que la moyenne nationale est de 261 kg.

Le syndicat envisage pour sa part un taux de recyclage avoisinant les 30 % en 2025. « Ces objectifs concernent le territoire national alors que nous nous inscrivons, nous, dans un tissu urbain particulièrement dense, soutient le directeur général des services du Syctom, Martial Lorenzo. Par ailleurs, nous n’avons que très peu recours à l’enfouissement des déchets, comme le demande la LTECV, et nous valorisons l’énergie produite dans nos usines. »

Réseau de chaleur

La chaleur produite par l’UVE devrait en effet alimenter le réseau de chauffage urbain et d’électricité. L’usine actuelle d’Ivry-Paris 13e dessert l’équivalent de 100 000 logements, via le réseau de chaleur de la Compagnie parisienne de chauffage urbain. « Cette énergie renouvelable de récupération est préférable à l’emploi d’énergies fossiles », avance le Syctom. La directrice de Zero Waste s’oppose à « ce glissement sémantique destiné à rendre plus acceptable l’incinération. Le rôle premier du Syctom n’est pas de produire de l’énergie avec nos déchets, poursuit Flore Berlingen. Et cet argument ne justifie en rien la construction d’une nouvelle usine. »

Le 14 juin au soir, des habitants d’ivry ne cachent pas leur inquiétude quant à la nature des pollutions engendrées par l’incinérateur. « Nous ne pouvons pas accepter la présence d’une usine dont nous ne connaissons pas tous les dangers et qui risque de déglinguer la santé de la population, des enfants », s’exclame ainsi une riveraine. Les fumées contiennent-elles des microparticules potentiellement cancérigènes, des dioxines et furanes bromés et autres polluants nocifs ? « Le public manque d’information sur les pollutions », observe pour sa part Anne Connan, du Collectif 3R.

« Nos trois installations sont les plus contrôlées de France, rétorque Martial Lorenzo. Nous sommes passés au crible ! » Le syndicat tente d’apaiser les craintes en soulignant les performances technologiques de son futur incinérateur et ses capacités de captage des polluants avant rejet dans l’atmosphère. Son « look » et son intégration architecturale, vantés dans une vidéo de présentation diffusée à l’Espace Robespierre, sont accueillis avec une pointe d’ironie par l’assistance.

Au terme de la consultation, la commission d’enquête rendra son avis au préfet de Val-de-Marne, qui délivrera, ou non, l’autorisation d’exploiter l’unité de valorisation énergétique. La demande de permis de construire l’usine vaudrait alors permis de démolir l’unité d’incinération existante. Les travaux pourraient démarrer dès la fin de l’année.