A l’Assemblée nationale, le 20 juin. / THOMAS SAMSON / AFP

Un vrai feu d’artifice. Le projet de loi constitutionnelle, dont l’examen a démarré en commission des lois a l’Assemblée nationale, mardi 26 juin, est l’objet d’une multitude d’amendements venant de députés de tous bords sur des sujets très différents, allant de la défense de l’égalité homme-femme, à la protection de l’environnement, en passant par la reconnaissance des langues régionales.

Au total, 1 378 amendements ont été déposés. Soit « plus du double » que lors de la révision constitutionnelle de 2008, a souligné le rapporteur général, Richard Ferrand, à l’ouverture des débats, en assurant qu’il sera « vigilant à ne pas dénaturer » le texte face à « la fertilité » des « imaginations ». Alors que plus de 300 amendements viennent des rangs de la majorité, le chef de file des députés La République en marche (LRM) a alerté sur le risque de modifier lourdement la loi fondamentale : « Ne surchargeons pas la Constitution. N’adoptons pas des dispositions, qui créeraient ensuite des difficultés d’interprétations. »

Un message relayé par les deux co-rapporteurs. « Nous nous sommes efforcés de retenir notre plume, pas parce que les idées manquaient, mais parce que la Constitution – plus que la loi – ne saurait être bavarde », a argué le président du groupe MoDem Marc Fesneau, tandis que la présidente LRM de la commission des lois, Yaël Braun-Pivet, a rappelé que la Constitution n’était « pas un texte de circonstance ».

« La loi, parce qu’elle est fondamentale, est nécessairement limitée, a appuyé le responsable LRM du texte, Sacha Houlié. Cela nous oblige à préciser ce que l’on veut y inscrire. » La preuve : lors du premier jour de débat, 61 amendements ont été examinés mais aucun n’a été adopté.

Réécrire la Constitution en écriture inclusive

Les députés macronistes n’ont pourtant pas manqué d’inspiration, en formulant des idées allant bien au-delà du projet gouvernemental, qui prévoit une accélération de la procédure parlementaire ou des mesures ayant trait à la justice, telles que la suppression de la Cour de justice de la République et la réforme du Conseil supérieur de la magistrature.

Parmi leurs propositions figure la volonté de supprimer le mot « race » dans l’article 1 de la Constitution selon lequel la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion » – car cela « signifierait qu’il y en a plusieurs » – et de rajouter « sexe » dans cet article au nom de l’égalité homme-femme.

Pour défendre cette dernière cause, des élus LRM plaident également pour remplacer « droits de l’Homme » par « droits humains » ; de permettre aux députées en congé maternité d’être remplacées par leurs suppléants ; ou encore de réécrire la Constitution en écriture inclusive, de façon à féminiser les terminologies.

Des parlementaires de tous bords – dont la députée LRM Paula Forteza – proposent encore d’adosser à la Constitution une « Charte du numérique », notamment pour garantir le principe de neutralité du Net. Une idée ayant reçu un avis défavorable, mardi soir.

Plusieurs parlementaires de la majorité et de l’opposition veulent également mentionner la protection de l’environnement à l’article 1er de la Constitution, et non à l’article 34 (qui définit le domaine de la loi). Une mesure soutenue par le gouvernement, comme l’a déjà annoncé le ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot. Reste à trouver la formulation.

Mardi soir, l’ex-ministre de l’écologie, Delphine Batho (non-inscrite), a ainsi plaidé – sans succès – pour inscrire le principe de « non-régression » au sein de la charte de l’environnement. Particulièrement inspiré, le député LRM du Morbihan, Paul Molac, lui, a déposé une quarantaine d’amendements à lui seul, notamment pour « donner une reconnaissance officielle aux langues régionales ».

« Une forme de concours Lépine a été ouvert »

Ce foisonnement de suggestions a même suscité des réserves jusque dans les rangs de la droite. « Une forme de concours Lépine a été ouvert », a regretté le député Les Républicains (LR), Philippe Gosselin, en appelant à éviter de « partir » dans des idées « tous azimuts » et de tomber, en somme, dans une « logorrhée constitutionnelle ». Sauf que les élus de son groupe ont également eu la main lourde, en déposant 226 amendements.

Si la plupart sont des amendements de suppression de la quasi-totalité des articles, plusieurs portent sur des marqueurs régaliens (immigration, sécurité, terrorisme…). Eric Ciotti veut notamment inscrire la laïcité dans la devise de la République et, en même temps écrire, que la France est un pays de « tradition chrétienne ». Pierre-Henri Dumont a lui défendu un amendement pour remplacer le principe de « précaution » inscrit dans la Charte de l’environnement, par un principe de « responsabilité ».

Les élus La France insoumise (LFI), qui ont déposé 102 amendements au total, souhaitent la convocation d’une assemblée constituante en vue d’une VIe République, l’un des points phare du projet présidentiel de Jean-Luc Mélenchon. « Nous voulons donner les clés du débat constitutionnel au peuple », a déclaré Danièle Obono, mardi soir. Des élus LFI entendent également inscrire dans la Constitution la possibilité de révoquer le président de la République, tandis que des socialistes proposent de rendre le vote obligatoire et d’autoriser le vote des étrangers aux élections locales. Une mesure que François Hollande n’a pas mise en œuvre lors du précédent quinquennat, alors qu’elle faisait partie de ses promesses de campagne.

Les communistes veulent quant à eux faire élire le président par le Parlement ou encore revenir au septennat, tout comme des UDI-Agir-Indépendants, alors que deux députés LR, Julien Aubert et Eric Straumann, veulent même aller plus loin, en proposant un « octennat » (huit ans de mandat). Les trois élus corses (non-inscrits), de leur côté, ont eux aussi montré qu’ils ne manquaient pas d’imagination, en déposant près de 200 amendements, dont certains visant à la reconnaissance du peuple corse ou à la reconnaissance officielle des drapeaux et des hymnes régionaux.

« Imaginer qu’ils font quelque chose d’historique »

Si beaucoup d’élus défendent des convictions sincères, certains en profitent manifestement pour mettre en avant une disposition symbolique ou idéologique. Au plus grand dam du président LR de la commission des lois du Sénat, Philippe Bas. « Les députés veulent se faire plaisir et imaginer qu’ils font quelque chose d’historique. Mais il ne faut pas faire d’humour avec la Constitution », s’agace-t-il. Avant de conclure : « Le texte fondamental, ce n’est pas une profession de foi ou une motion d’En marche ! » Cette « foire » aux amendements, dont certains paraissent un peu farfelus, confirme les craintes de Gérard Larcher, qui s’est parfois inquiété d’une réforme « fourre-tout ». Le président du Sénat, dont l’accord sera nécessaire pour l’adoption de cette révision constitutionnelle, rappelle souvent la célèbre formule de Montesquieu : « Il faut toucher à la Constitution d’une main tremblante. »