Au petit matin, soulagé, presque surpris, José Dirceu, 72 ans, a quitté le pénitencier de Papuda à Brasilia. Heureux de pouvoir assister, ce mercredi 27 juin, aux côtés des siens, au match décisif de la Seleçao, l’équipe nationale du Brésil, face à la Serbie. L’ancien bras droit de l’ex-chef d’Etat Luiz Inacio Lula da Silva attendra libre l’examen de son recours contestant sa condamnation à plus de trente de prison pour des faits de corruption dans le cadre de l’affaire « Lava Jato » (lavage express). Ainsi en ont décidé, la veille, par 3 voix contre 1, une partie des juges de la Cour suprême. En appui de leur décision, Gilmar Mendes, Ricardo Lewandowski et Dias Toffoli ont notamment évoqué des doutes sur la proportionnalité de la peine.

La remise en liberté provisoire de ce proche de Lula, à qui il confesse vouer une « fidélité canine », choque une partie du pays. Membre fondateur du Parti des travailleurs (PT, gauche), José Dirceu incarne à la fois le romantisme de la gauche brésilienne et ses errances crapuleuses. Prisonnier sous la dictature militaire (1964-1985), il dut s’exiler et ne revint au pays que sous un faux nom après avoir transformé son visage grâce à la chirurgie esthétique.

Considéré comme l’un des artisans de la victoire de Lula à l’élection présidentielle de 2002, il sera son homme de confiance jusqu’à sa descente aux enfers. Une disgrâce entamée en 2005 avec la mise au jour du « mensalao », manœuvre visant à verser de généreux pots-de-vin aux membres du Congrès pour obtenir l’approbation de lois. José Dirceu sera ensuite mis en cause dans l’opération « Lava Jato », vaste scandale de corruption mêlant le gratin des affaires et les partis politiques de tout bord. Condamné en première instance par le juge Sergio Moro à un cumul de trente ans et neuf mois de prison, sa peine sera confirmée en deuxième instance, en mai.

« Lula a eu la poisse »

Vilipendée par la droite, saluée par la gauche, sa libération a, de nouveau, mis au jour les fractures du pays. Sur les réseaux sociaux, l’indignation était portée majoritairement par le camp des conservateurs et notamment par le candidat de l’extrême droite à l’élection présidentielle d’octobre, Jair Bolsonaro. « Quelqu’un doit arrêter la Cour suprême ! », a-t-il tancé sur Twitter, tandis qu’un certain Tiago Amorim, se décrivant comme un homme marié, en faveur de la peine de mort et contre l’avortement, s’offusquait de la libération de « Dirceu et des quarante voleurs ».

La clémence des juges est au contraire saluée par une partie de la gauche, qui voit en M. Dirceu un martyr. Les militants osent même espérer que Lula, détenu depuis avril pour purger une peine de plus de douze ans de prison infligée en second instance, pourrait lui aussi bénéficier d’un habeas corpus (le droit de ne pas être enfermé sans jugement définitif). Un énième recours a été déposé en ce sens par la défense de l’ex-syndicaliste et devrait être examiné en août. Seul bémol, le recours de l’ancien président, qui prétend encore concourir à l’élection dont il est favori, sera examiné en plénière, soit par onze juges aux opinions divergentes.

« Dirceu a eu de la chance, Lula a eu la poisse. Il en va ainsi du sort des prévenus à la Cour suprême où les décisions importantes obéissent à une logique de loterie », souligne dans une tribune l’éditorialiste Bernardo Mello Franco, dans le quotidien O Globo mercredi.

Justice déboussolée

De fait, au-delà d’un désaveu certain infligé à la sévérité du juge Moro et aux équipes de « Lava Jato », la libération de M. Dirceu offre le spectacle d’une justice brésilienne déboussolée, imprévisible et divisée. « Ce n’est ni la fin de “Lava Jato”, ni son heure de gloire, c’est juste un jeu », soupire le politologue Carlos Melo.

Un jeu qui se joue entre les onze juges de la Cour suprême divisés en deux camps, l’un sévère, surnommé « la chambre à gaz », l’autre plus conciliant, qualifié de « Jardin d’Eden ». L’objet de la guerre est lié à une mesure décidée en 2010 afin d’en finir avec l’impunité des puissants : l’exécution des peines de prison après le jugement en deuxième instance, quand bien même d’autres recours sont déposés auprès d’instances supérieures.

En libérant José Dirceu, Gilmar Mendes, Ricardo Lewandowski et Dias Toffoli, ouvertement opposés à la prison en deuxième instance, ont contredit ce dispositif du droit brésilien, sans se soucier de la cohérence des décisions d’une justice de plus en plus contestée. « La Cour suprême est à la dérive », conclut Bruno Boghossian, éditorialiste à la Folha de Sao Paulo mercredi.