Des policiers escortent un groupe de migrants, près de Dobova, en Slovénie, en 2015. / Srdjan Zivulovic / REUTERS

Au cours d’un tchat, jeudi 28 juin, Yves Pascouau, chercheur à l’université de Nantes et titulaire de la chaire Schengen-Alliance Europa, a répondu aux questions d’internautes du Monde à propos des réponses politiques à la crise migratoire en Europe.

Nicolas : les navires des ONG, en allant directement secourir les migrants dès leur entrée dans les eaux internationales (à 15 km des côtes libyennes), ne contribuent-ils pas à provoquer un appel d’air, jouant le jeu des passeurs et des migrants, puisque au final, 95 % du trajet en Méditerranée vers l’Europe est fait par les migrants sur ces navires ?

Yves Pascouau : Une étude d’une université britannique se base sur une analyse de la situation entre 2015 et 2016 et indique qu’il n’est pas possible de conclure à la théorie de l’appel d’air, car les traversées sont aussi motivées par d’autres facteurs, tels que l’augmentation des flux, ou les éléments saisonniers. Par ailleurs, de nombreux sauvetages sont effectués par d’autres types de navires. Dans un document publié en vue du sommet européen, la Commission européenne indique que les opérations de l’Union européenne en mer ont permis de sauver 634 751 vies entre 2015 et 2017.

Gil : Angela Merkel peut-elle encore sauver sa place de chancelière ? Et pourquoi des pays tels que la Grèce, le Portugal, la Pologne ou la Hongrie lui feraient ce « cadeau » ?

Yves Pascouau : Il est encore possible que la chancelière « sauve sa place ». Cela dépendra de l’issue des discussions du Conseil européen et de la satisfaction ou pas de l’Union chrétienne-sociale (la CSU, les conservateurs bavarois). Reste qu’il est désormais difficile de savoir ce qui satisfera la CSU. Tout dépendra aussi de la volonté de la CSU de maintenir le gouvernement actuel ou de précipiter sa chute.

Rien compris : est-il possible que Merkel rompe sa coalition actuelle avec la CSU pour s’allier aux Verts, et ainsi sauver sa place – et accessoirement peut-être sauver l’Europe ?

Yves Pascouau : Il est très difficile de répondre à cette question. La situation politique en Allemagne est désormais très instable. Par ailleurs, il y a de nombreux dossiers sur lesquels l’Union chrétienne-démocrate (CDU) et les Verts sont encore très éloignés. Réaliser un accord de coalition est dans ces conditions très compliqué.

Jean-Ed : les ports tunisiens ne sont-ils pas plus proches que les ports européens ? La Tunisie n’étant pas en guerre, l’application du droit maritime n’implique-elle pas de devoir les débarquer dans ce pays ?

Yves Pascouau : Ils sont géographiquement plus proches, mais ces ports sont-ils pour autant sûrs ? C’est toute la question. Par « sûr », on entend des ports dans lesquels les personnes débarquées pourront notamment déposer une demande d’asile (selon les standards du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) et dans lesquels elles ne risquent pas d’être refoulées vers un autre pays tiers où elles pourraient être persécutées.

En ce qui concerne la Tunisie : d’une part, il faut qu’elle les accepte. D’autre part, le capitaine d’un navire peut juger que le port le plus proche ne permettra pas aux personnes de voir leur demande d’asile traitée selon des standards de la convention de Genève sur le statut des réfugiés.

Habsb : pourquoi le délit de solidarité s’applique pour les migrants sans-papiers en difficulté sur les Alpes, mais non pas pour les migrants secourus en mer Méditerranée ?

Yves Pascouau : Pour les personnes secourues en Méditerranée, c’est le droit de la mer qui oblige de porter assistance aux personnes en détresse. Pour les personnes qui aident les migrants dans les Alpes, c’est le droit de chaque Etat qui décide si cette aide est punissable ou pas. Il faut noter que le « délit de solidarité » est prévu dans une directive européenne. Si cette directive prévoit que les personnes qui portent assistance dans un but lucratif – les passeurs) doivent être punies, ce n’est pas le cas des personnes qui portent assistance. Chaque Etat peut décider de poursuivre les personnes qui portent assistance ou pas.

Vincent : comment fait-on la distinction entre migrant économique et réfugié ? Et comment cela change-t-il le traitement qui est réservé à ces personnes ?

Yves Pascouau : C’est une distinction juridique. Le statut de réfugié est prévu dans la convention de Genève de 1951 qui protège les personnes qui craignent, avec raison, d’être persécutées en raison de leur « race », religion, nationalité, appartenance à un certain groupe social ou opinions politiques. Les « migrants économiques » ne sont pas protégés à l’instar des réfugiés.

Par ailleurs, la notion de « migrant économique » est trompeuse. Dans le discours, il s’agit du migrant subsaharien qui est entré irrégulièrement sur le territoire des Etats européens. Or, un migrant économique, c’est aussi l’ingénieur informatique indien qui est embauché par une grande entreprise du secteur.

Louiza : la fin du règlement de Dublin est-elle inéluctable ?

Yves Pascouau : S’il n’y a certainement pas d’accord aujourd’hui sur un règlement Dublin IV, le règlement Dublin III continuera à s’appliquer. Juridiquement, le règlement Dublin va survivre, dans l’immédiat. La difficulté repose davantage sur sa survie en pratique. On peut imaginer que si l’Italie n’obtient pas satisfaction pour une plus grande solidarité, alors elle cessera d’appliquer le règlement Dublin de facto. A ce moment-là, on pourra alors douter de la survie du texte.

Curieux : bonjour, je souhaiterais savoir si le phénomène migratoire actuel se traduira en une hausse de la démographie européenne, ou bien sans répercussion significative.

Yves Pascouau : L’édition du journal Le Monde datée d’aujourd’hui donne quelques éléments de réponse. Selon l’OCDE, les 4 millions de demandeurs d’asile arrivés entre 2014 et 2017 devraient déclencher un accroissement d’à peine 0,3 % de la population européenne en âge de travailler à l’horizon 2020.

Jeanne : y a-t-il des chevauchements ou articulations entre les points discutés aujourd’hui au Conseil européen et certaines dispositions du projet de loi français « asile et immigration » ?

Yves Pascouau : Les questions discutées ce jour par les chefs d’Etat et de gouvernement concernent les orientations politiques nouvelles que doit prendre la politique européenne. La loi asile et immigration discutée devant les Assemblées a pour objectif d’adapter le droit français et notamment au sujet des procédures d’asile et du retour des personnes en situation irrégulière. Une discussion porte sur des orientations politiques, l’autre sur des adaptations législatives.

Blandine : comment se fait-il que certains pays, comme l’Allemagne, arrivent à accueillir un grand nombre de migrants et que la France semble incapable de mettre en place une politique d’intégration d’un nombre de migrants infiniment plus petit ?

Yves Pascouau : L’Allemagne a une grande tradition d’accueil des réfugiés dans les faits et dans la Loi fondamentale (Constitution). Lors du conflit yougoslave, elle avait déjà accueilli plusieurs centaines de milliers de personnes déplacées. Par ailleurs, et à la différence de la France, en 2015, l’Allemagne n’était pas en prise avec le phénomène de l’extrême droite. Ce dernier joue un rôle très grand dans la manière dont les gouvernements français successifs abordent la question de l’asile et de l’immigration.

LMn : réfugiés politiques, économiques, climatiques… Nous allons tous être confrontés à de forts mouvements migratoires. Nous entendons souvent la fameuse phrase : « nous ne pouvons pas accueillir tout le monde ». Mais pouvons-nous vraiment refuser le droit à la vie ? Quelles sont les options possibles en Europe, pour accueillir autant de personnes ? Comment pouvons-nous répondre positivement à ce besoin ?

Yves Pascouau : Jusqu’à présent, l’UE et ses Etats membres n’ont pas abordé la question de l’asile et de l’immigration dans sa globalité. Depuis 1999, les Etats membres de l’UE construisent une politique migratoire commune essentiellement « intérieure », c’est-à-dire la gestion des frontières et le sort des demandeurs d’asile qui sont arrivés sur le territoire européen. C’est une vision de type « affaires intérieures » ou plus simplement « ministère de l’intérieur ». L’UE et ses Etats membres n’ont en réalité plus d’option. Ils doivent désormais construire une politique migratoire qui prenne en considération les aspects extérieurs du phénomène migratoire, c’est-à-dire de lui adjoindre une dimension « politique étrangère ». Ils commencent à le faire, mais c’est insuffisant.