Le documentaire est bien vivant. Mais comment en vivre ? Comme chaque année, le festival « Sunny Side of the Doc » a réuni, du 25 au 28 juin, à La Rochelle (Charente-Maritime) diffuseurs, distributeurs, producteurs, directeurs de programmes et auteurs réalisateurs. La « planète doc » n’a jamais été aussi riche de projets, d’alliances internationales ; la montée en puissance du numérique offrant de nouvelles possibilités. « L’avènement de la réalité augmentée, de la réalité virtuelle et de la vidéo à 360° a donné un appel d’air au documentaire dans la mesure où cela permet de raconter des histoires autrement. On a une immersion de facto plus importante et, peut-être, une assimilation du message supérieure », estime Stéphane Malagnac, consultant de la programmation de PIXIii.

Mais au-delà des multiples projets en cours et des affaires réalisées par les maisons de production du monde entier, dans les stands rochelais, un document d’une trentaine de pages, édité par la Scam (Société civile des auteurs MultiMedia), a beaucoup fait parler. Intitulé « De quoi les documentaristes vivent ? », ce texte s’appuie sur un questionnaire réalisé en avril 2018 auprès de 1 500 auteur(e) s (60 % d’hommes, 40 % de femmes). Truffé d’informations chiffrées, il fait apparaître une précarisation économique qui ne cesse de progresser. On y apprend par exemple qu’un documentaire de 52 minutes se paye en moyenne 12 461 euros. Une moyenne très faible, tirée vers le bas en raison des budgets modestes des chaînes de la TNT, locales ou thématiques.

Une économie à deux vitesses

Les réalisateurs confirmés, qui ont les faveurs des grandes chaînes nationales, travaillent dans des conditions matérielles plus confortables. Un film de 52 minutes est payé entre 20 000 à 40 000 euros. Ce qui témoigne d’une économie « à deux vitesses, avec d’un côté des films pour France 2, France 3 et Arte, et les autres », comme le souligne le documentariste Patrick Jeudy.

De moins en moins bien payés, la majorité des auteurs obtiennent des rémunérations qui n’ont rien à voir avec le temps effectif passé sur un documentaire, qu’il s’agisse d’un 26, 52 ou d’un 70 minutes et plus. Ce qui fait dire à l’un d’eux : « Après avoir exercé ce métier depuis près de 38 ans, et réalisé plus de 650 heures de programmes, j’affirme que les heures de ménage et de repassage sont mieux rémunérées que celles d’un auteur réalisateur ».

Les réformes à France Télévisions inquiètent

Si la situation économique de nombreux documentaristes en France est peu reluisante, l’inquiétude de la profession concerne aussi la suppression de chaînes linéaires (telle France 4 qui devrait passer bientôt passer au tout numérique) et les réformes structurelles en cours à France Télévisions. La peur d’un « guichet unique » pour présenter des projets de documentaires à France TV est-elle fondée ? Les moyens accordés à ce secteur vont-ils baisser ? Non si l’on se fie aux paroles de Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, qui a fait le déplacement à a Rochelle pour annoncer, avec les responsables des unités de documentaires, d’ambitieux films historiques et scientifiques ainsi que des nouvelles collections. « Nous allons maintenir l’investissement du service public dans le documentaire. La réforme en cours est dense, intense, mais elle préserve la création ! Le numérique offre une opportunité de s’affranchir de nos contraintes sur le linéaire, d’innover dans des formats nouveaux et de toucher un nouveau public ».

Pour rappel, le groupe France Télévisions a investi, en 2017, 101 millions d’euros dans le documentaire, dont 11,5 millions consacrés aux films régionaux et ultramarins. En attendant les nouveautés structurelles de France TV, d’autres chaînes ont manifesté leur amour du doc : les poids lourds du genre que sont Arte et Canal+, avec une programmation alléchante pour les mois à venir, mais aussi RMC Découverte qui, en six ans d’existence, a multiplié les collections (souvent des 6x45 minutes) et investi 51 millions d’euros dans la production. C’est un fait : le grand public ne se lasse pas des documentaires. Reste à payer décemment celles et ceux qui les créent.