Le lycée public Saïd-Mohamed-Cheikh de Moroni, capitale des Comores, est désespérément vide en ce mardi 26 juin. Les vacances scolaires n’ont pourtant pas commencé. La raison de cette désertion des lieux ne tient pas à un énième coup d’Etat dont l’archipel est coutumier depuis son indépendance ou aux tensions politiques actuelles, mais à un boycott des cours décidé un mois plus tôt par des élèves de l’établissement pour dénoncer le fait que leurs bulletins de notes des premier et deuxième trimestres n’ont pas été remplis par leurs professeurs. Ces derniers, quant à eux, réclament le versement d’un mois de salaire remontant à mai 2017…

Le 19 juin, l’établissement a été le théâtre d’une scène surréaliste. En signe de protestation, des élèves y vendent fruits et légumes. Certains proposent le régime de bananes à 5 000 francs comoriens (10 euros), d’autres cherchent à écouler leurs papayes. L’un d’entre eux, le front ceint d’un ruban rouge, explique : « Les professeurs nous ont affirmé que même si le [volcan] Karthala se déplaçait jusqu’à Moroni, tant qu’ils ne percevront pas le salaire de mai 2017, aucun bulletin scolaire ne sera rempli. »

Les lycéens ont-ils réussi à écouler leurs produits ? L’un d’entre eux, très fier, sort de sa poche une petite liasse de billets. « Regardez, grâce à la vente nous avons 50 000 francs, que nous remettrons au ministre des finances. Nous continuerons jusqu’à ce que nous ayons la somme nécessaire pour payer les enseignants. »

Salles de classe décrépites

Ce mardi pourtant, il n’y a personne au lycée. Les frondeurs sont Dieu sait où. Et la grève se poursuit. Dans l’allée principale menant aux bâtiments, des badamiers apportent une fraîcheur revigorante. Les bâtiments de ce lycée qui a formé l’essentiel de l’élite comorienne, à commencer par l’actuel président, sont en ruines. Les salles de classe sont décrépites, les fenêtres dépourvues de vitres. Et les portes ne ferment plus depuis des lustres.

Pourtant, dans la salle TA3 de l’aile sud de l’établissement, un petit groupe d’élèves assis sur des bancs brinquebalants révise assidûment. L’atmosphère, studieuse, est troublée par le bruit de nos pas. L’un d’entre eux lève la tête, murmure un « assalam alaikum ». Les présentations faites, il hésite à parler. Il a peur. Parce qu’il n’est pas d’accord avec le mouvement de protestation déclenché un mois plutôt. Puis il finit par se lancer.

Ali Chabane, c’est son nom, prépare le bac. « Cette grève aurait dû avoir lieu il y a longtemps. Pas maintenant, surtout pas maintenant. » Il observe une pause. « Les enseignants ne remplissaient pas les bulletins, mais au moins faisions-nous cours. Maintenant nous avons tout perdu. Les bulletins ne sont toujours pas remplis et nous avons à peine entamé le programme du troisième trimestre. Les examens de fin d’année auraient dû commencer le 25 juin. »

Face à la menace d’une année blanche, Ali Chabane et ses amis révisent de façon acharnée. « Vous savez, je suis prêt pour le bac. J’essaie de rattraper mon retard, en aucune façon je n’aimerais qu’il y ait un report », lâche-t-il avant de retourner à ses cahiers. Selon différents interlocuteurs, le baccalauréat devrait avoir lieu le 8 juillet.

« Nous avons été sacrifiés »

Dans la cour, nous retrouvons le secrétaire général de l’Intersyndicale des agents de l’éducation, Moussa Mfoungoulie. « Tant que la totalité de nos collègues ici et à Anjouan ne seront pas payés, nous ne remplirons pas les bulletins scolaires, dit-il. Dans ce lycée, nous sommes 133 enseignants, et 78 d’entre nous ont été payés. Il en reste 55, nous ne pouvons pas les sacrifier. Nous nous battons pour la même cause. » Pour Ahmed Mohamed, un professeur d’histoire-géographie, « un peu plus de 7,9 millions de francs [plus de 16 000 euros] suffiraient à payer les 55 professeurs restants ».

« Nous avons été sacrifiés », rage Abdoulkarim Ali, un élève du lycée Saïd-Mohamed-Cheikh, . Ce à quoi Moussa Mfoungoulie rétorque : « Nous n’avons pas sacrifié les élèves, jamais ! Les auteurs de ce sacrifice ne sont personne d’autre que les autorités. »