Un incendie s’est déclaré à la médiathèque après qu’une voiture a été projetée dans sa devanture dans la nuit du 26 et 27 juin. / SANDRINE BLANCHARD / LE MONDE

« Je suis venu plein de fois ici, avec l’école ou avec ma mère, pour emprunter des livres ou pour jouer sur l’ordinateur » : Ibrahim, 9 ans, regarde, interloqué, le paysage de désolation qui a remplacé la médiathèque John Lennon, au cœur de la cité des 4 000 à La Courneuve (Seine-Saint-Denis). Des centaines d’ouvrages, de revues, de CD, de DVD traînent par terre, presque entièrement brûlées. Des restes de casiers « livres jeunesse », « films pour enfants », détruits par les flammes, traînent devant une large vitrine éventrée. « Je suis triste », lâche Ibrahim. Dans la nuit de mardi à mercredi 27 juin un incendie volontaire a ravagé les lieux. Une voiture bélier a été projetée dans la devanture de la médiathèque, puis s’est embrasée, détruisant une grande partie des 250 mètres carrés de locaux.

Rassemblement

A l’appel du maire communiste, Gilles Poux, plus de deux cents habitants se sont rassemblés, jeudi 28 juin, pour dénoncer cette « violence aveugle » contre un équipement public culturel. Place de la fraternité, enseignants, bibliothécaires, élus, responsables associatifs, familles et enfants, tous sont abasourdis par cet acte « scandaleux ». « J’en ai la chair de poule », témoigne Brigitte, courneuvienne de longue date qui s’inquiète aussi pour la salle de spectacle et les cours de danse situés juste au-dessus de la médiathèque. « C’était un endroit très utilisé par les gens du quartier », témoigne-t-elle. « Les locaux avaient été rénovés en 2013 et nous avions quelque cinq mille usagers par mois », explique Flavie Rouanet, bibliothécaire et responsable du lieu depuis 2011. Elle et ses huit collègues sont, disent-elles « sous le choc, tristes et en colère ». La médiathèque comptait 35 000 documents, un espace multimédia avec huit ordinateurs, dix tablettes numériques, organisait des ateliers, des séances de jeux vidéos, « bref, tout ce qu’on attend d’une médiathèque aujourd’hui », liste Flavie Rouanet.

L’incompréhension est d’autant plus forte que le quartier était calme depuis plusieurs mois, « sans tension particulière », résument le maire et plusieurs habitants. « Ce n’est pas une petite affaire, la culture est visée, c’est un avertissement », craint la mère de Maélie. A ses côtés, la petite fille regarde avec amertume la devanture saccagée de la médiathèque : « je venais souvent avec l’école et pour prendre des livres ». Toutes deux habitent la tour qui domine la place de la fraternité. « Cette nuit-là, j’étais devant la télé et j’ai entendu du bruit. J’ai vu le feu de ma fenêtre, j’en tremblais, raconte la mère. Cela fait vraiment mal au cœur, je n’ai qu’une envie c’est de déménager ».

Acte « innommable »

« La Courneuve est une ville monde et de culture, j’ai une profonde tristesse », témoigne Marie-George Buffet, députée communiste de Seine-Saint-Denis, venue participer au rassemblement. L’ancienne ministre de la jeunesse et des sports et le maire de la ville ont tout deux reçus un SMS de soutien de Françoise Nyssen, ministre de la culture qui a promis son aide pour que la médiathèque « rouvre au plus vite ». Devant les personnes rassemblées sous la chaleur de ce fin d’après-midi de juin, Gilles Poux prend la parole pour évoquer un acte « innommable ». « La médiathèque s’est volatilisée à cause de la bêtise et de la haine. Comment peut-on détruire des lieux d’entraide aux budgets si fragiles ? Et il s’agit de haine car c’est une attaque contre des symboles forts - le savoir, la connaissance - pour prôner l’obscurantisme. C’est tout le contraire de ce que veulent les habitants. La haine ne gagnera pas », conclut le maire largement applaudit.

« C’est pas normal, c’est pas normal », martèle Catarzyna, jeune mère d’origine polonaise, venue avec ses deux jeunes fils. Sébastien, l’un d’eux, est fan des livres de Harry Potter et a ramassé par terre, en souvenir, quelques pages noircies d’une bande-dessinée. « Si on trouve les auteurs de cet acte, il faut qu’on les oblige à faire les travaux », estime, avec force, sa mère.

Pour l’heure, l’enquête est en cours pour retrouver les auteurs de ce saccage. Un contrôle technique va être effectué pour vérifier la solidité du bâtiment et savoir si la partie non endommagée du centre culturel peut rouvrir. L’équipe de la médiathèque et les usagers vont être accueillis à la bibliothèque Aimé Césaire située dans le centre-ville. « En attendant les travaux, nous allons travailler à des alternatives comme les bibliobus », promet la mairie.