Le président du conseil italien Giuseppe Conte , le 29 juin à Bruxelles. / Olivier Matthys / AP

Au cours d’un tchat, vendredi 29 juin, Jean-Pierre Stroobants, correspondant au bureau européen du « Monde », à Bruxelles, a répondu aux questions d’internautes du Monde à propos des réponses politiques à la crise migratoire en Europe.

Marc B : Est-ce vraiment une victoire pour le gouvernement populiste italien ? Si oui, est-ce que ça veut dire qu’il suffira désormais aux gouvernements de menacer et d’exiger pour obtenir ce qu’ils veulent ?

Jean-Pierre Stroobants : Le débat engagé résulte clairement de la pression de ce nouveau gouvernement, et singulièrement du ministre de l’intérieur, Matteo Salvini. Mais la présidence autrichienne de l’Union européenne — qui démarre le 1er juillet — aussi : le chancelier Kurz est, comme on le sait, associé au Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ), parti xénophobe. Avec le Danemark, l’Autriche a proposé l’installation de camps de rétention dans les Balkans, idée abandonnée. Il y a donc la pression des populistes, oui, mais aussi la sanction de la trop longue inaction des partenaires de l’Italie quand la crise migratoire était à son comble. C’est elle qui a aussi favorisé, entre autres facteurs, l’arrivée d’un gouvernement de populistes antisystème au pouvoir à Rome. On peut ajouter que le discours récurrent des pays de l’Est, Hongrie en tête, a aussi entraîné une focalisation sur ce sujet qui, en réalité, est beaucoup moins prégnant aujourd’hui compte tenu de la diminution du nombre des arrivées de migrants.

Chabi : Alors que le gouvernement dit chercher un équilibre entre fermeté et humanité, le mouvement Génération. s ne voit que « marasme et inhumanité » dans les « solutions » du Conseil européen. Est-ce qu’il y a des aspects visant l’amélioration de l’accueil des réfugiés dans le texte adopté hier ?

J.-P. S. : La thèse des dirigeants « humanistes » européens est qu’éviter les traversées de la Méditerranée est une bonne chose – 1 000 personnes sont mortes ainsi depuis le début de l’année, sans doute près de 40 000 en tout. D’où les tentatives de négocier avec les pays de transit et de départ. On ignore tout, pour le reste, des conditions qui prévaudront dans les « centres de contrôle » prévus pour l’accueil sur le pourtour méditerranéen. On ignore d’ailleurs où, quand et même s’ils verront jamais le jour. Les dirigeants affirment, en tout cas, que les demandes d’asile seront examinées plus rapidement. A ce stade, il n’y a pas d’autre garantie.

Savoyard : Les règlements de Dublin sont manifestement un facteur aggravant de la crise plutôt qu’une solution, faisant porter un poids excessif sur les pays de première ligne, tels que la Grèce et l’Italie, et expliquant les rejets des pays des Balkans. Ne pourrait-on pas envisager un « titre de circulation européen » à durée limitée, comparable au « passeport Nansen » de l’entre-deux-guerres, permettant aux migrants de demander ensuite le statut de réfugié dans le pays leur paraissant le plus adapté ?

J.-P. S. : Le règlement « Dublin III » reste en vigueur et, promettent les membres du Conseil européen, il peut et doit encore être réformé. Ils feront le point en octobre. En réalité, le processus est bloqué et l’Italie a obtenu hier une sorte d’enterrement de fait de ce texte. Le titre de circulation ? Personne ne l’évoque et ne semble prêt, dans le contexte de crispation actuelle, à l’envisager. Surtout les pays qui sont clairement les destinations favorites des demandeurs : Allemagne, Suède, France, Belgique, etc.

Sylvain : Qu’est-ce qu’un système « volontaire » de centres dits « contrôlés » ?

J.-P. S. : Les centres « contrôlés » seront, en quelque sorte, des postes d’accueil (« hot spots » antérieurement) où les arrivants seront confinés (sans que les modalités soient précisées) en attendant une réponse quant à leur demande d’asile. Ils devraient ensuite être répartis dans l’Union – si leur demande est acceptée – ou renvoyés vers leur pays d’origine. Ce qui pose d’autres questions, non résolues, sur les réadmissions. Le système est « volontaire » parce que les pays ne seront pas obligés d’établir de tels centres sur leur territoire.

Glen Campbell : Ne serait-il pas plus simple pour tout le monde de réviser le droit maritime, afin de permettre aux navires portant secours de débarquer les migrants secourus en Afrique ? Cela porterait un coup au business des passeurs, sauverait des vies et enrayerait la vague populiste en Europe…

J.-P. S. : Je ne suis pas un spécialiste du droit maritime et de ses possibles réformes. Le droit humanitaire s’impose également aux Européens. Et je ne pense pas que débarquer les migrants en Libye ou dans certains autres pays africains en garantirait le respect. Vous avez lu, comme moi, les nombreuses dénonciations de la situation des migrants en Libye – sur laquelle l’Europe préfère d’ailleurs largement fermer les yeux. On nous redit, certes, vieux refrain, qu’il s’agit d’aider davantage ces pays et leurs communautés pour éviter les départs. M. Conte a au moins raison de demander à ses partenaires d’alimenter d’abord, comme ils l’avaient promis, le Fonds pour l’Afrique prévu à cette fin.

Alex : Les journaux italiens ont commencé par se réjouir de l’accord, à la suite des déclarations du président du conseil italien. Depuis, c’est la stupéfaction chez les mêmes journaux, une fois qu’ils ont analysé les conclusions du Conseil. Qu’en est-il au final ? N’y a-t-il eu que des concessions symboliques à l’Italie ?

J.-P. S. : M. Conte, comme indiqué plus haut, a surjoué la communication sur le thème « Nous avons gagné, l’Italie n’est plus seule ». Il y a eu une réelle prise en compte des difficultés de l’Italie, qui souligne à juste titre qu’elle a accueilli de 700 000 à 800 000 personnes en quelques années sans bénéficier du soutien nécessaire (outre financier) de ses partenaires. M. Conte a obtenu l’inscription dans les conclusions que tous les navires opérant en Méditerranée ne pouvaient pas faire obstacle aux opérations des gardes-côtes libyens. Au-delà ? Tout dépendra de la traduction en actes des promesses formulées hier : création « volontaire » de centres contrôlés le long de la Méditerranée, répartition « volontaire » des réfugiés… La presse italienne a donc raison, même si elle réagit un peu tard, de douter du bilan.

Citoyen européen : Quand je regarde cet accord avec maintien de Dublin et la création, sur une base volontaire, de centres gérés par l’UE, mais sur les pays d’arrivée – donc toujours la Grèce et l’Italie – je ne vois pas ce qui change par rapport à la veille de cette réunion…

J.-P. S. : On ne parle pas d’une gestion des éventuels centres par l’UE mais d’un « soutien » de celle-ci… On évoque aussi une gestion par le HCR, mais pour appuyer les Etats. Les questions que vous posez sont aussi celles que se posent beaucoup de ceux qui ont assisté à ce sommet… La communication a été bien menée, surtout par M. Macron et, dans son genre, par M. Conte. La réalité, une fois encore, est qu’il y a moins d’arrivées aujourd’hui, compte tenu notamment des effets de décisions antérieures (renforcement de la garde côtière libyenne, accord avec la Turquie, etc.) Donc la crise n’est pas « migratoire », mais « politique ». Ce qui renvoie aux considérations évoquées ci-dessus sur les situations nationales (Italie, Allemagne, Autriche, pays de Visegrad…) et la réelle portée des conclusions adoptées cette nuit.