L’arbitre Nestor Pitana fait appel à la VAR dans le match Mexique-Suède (0-3), le 27 juin. / DAMIR SAGOLJ / REUTERS

Retraité des terrains depuis 2017, Stéphane Lannoy a arbitré à la Coupe du monde 2010 et à l’Euro 2012 et officié huit saisons d’affilée en Ligue des champions. Observateur attentif des débuts de l’arbitrage vidéo dans une grande compétition, l’ancien meilleur sifflet français estime que la technologie est un progrès pour sa profession mais met en garde contre un recours abusif à la VAR (assistance vidéo à l’arbitrage).

Quel jugement portez-vous sur les débuts de l’arbitrage vidéo dans une grande compétition ?

Dans l’ensemble, l’utilisation de l’assistance vidéo est quelque chose de positif. On se rend compte que c’est une aide à la prise de décision pour les arbitres, dans la majorité des cas. Nous en sommes à sept penaltys qui auraient échappé à la vigilance des arbitres, donc c’est bien.

Contrairement à ce que l’on craignait, la prise de décision est assez rapide. Quand on voit le temps perdu pour les entrées en touche, les dégagements, les corners, l’exécution des coups francs, ça n’a pas énormément de conséquences sur le temps effectif de jeu. Ensuite, à la marge, il y a me semble-t-il quelques pistes possibles d’amélioration du système.

Lesquelles ?

Tout ce qui concerne l’interprétation. Nous avons vu des situations de penalty pour lesquelles des décisions différentes ont été prises pour des actions similaires, sur des mains dans la surface par exemple.

Mais nous ne sommes pas face à des énormités. On est dans l’interprétation. Pour moi, dans ce genre de situation, laissons l’arbitre prendre la main. On peut citer l’exemple de Colombie-Sénégal (1-0), lorsque Milorad Mazic décide d’un penalty pour le Sénégal, car en son for intérieur, il sait qu’il y a contact. Il a raison, il est bien placé et considère qu’il y a faute. Faisons-lui confiance ! Or, « l’œil de Moscou » lui a demandé de revisionner l’action. Mais à la lecture des images, on ne pouvait pas dire que la situation était noire ou blanche. On aurait pu soutenir la décision initiale.

Comment jugez-vous le rôle des VAR, qui alertent l’arbitre central et l’incitent à aller étudier la vidéo ?

Le travail du VAR est primordial : il doit trouver les deux, trois angles de caméra qui, à coup sûr, vont lui donner les éléments pour prendre la décision le plus rapidement possible, parce que ce sera évident. Il faut qu’un gamin de 10 ans devant son écran puisse prendre la bonne décision. L’idée est de donner une bouée de sauvetage pour réparer une injustice.

Mais encore faut-il que les images qu’on lui donne ne souffrent d’aucune contestation. On doit rester dans le factuel, permettre de corriger une erreur manifeste et non contraindre l’arbitre à aller visionner des images quand ce n’est pas le cas. Sinon, on va s’engouffrer dans un truc qui ne va générer que de la polémique. Dans le cas du geste litigieux de Cristiano Ronaldo face à l’Iran, par exemple, était-il utile que le centre opérationnel sollicite un visionnage ? Je n’en suis pas convaincu. Du coup, on a alimenté une polémique sur le thème de « si ce n’était pas Ronaldo, il aurait pris rouge ». Alors que non, car le geste n’était pas clair.

Une image au ralenti correspond-elle à la réalité ?

Non. Une image au ralenti exagère, force le contact. Dans le protocole de l’assistance vidéo, il est recommandé d’utiliser le ralenti pour dire si un joueur joue le ballon ou prend le pied de l’adversaire, par exemple. Car le ralenti peut clarifier cette situation. Mais il est recommandé au VAR de revoir systématiquement l’action à vitesse réelle, sans quoi il y a un effet loupe sur le contact.

C’est maintenant au tour des joueurs et entraîneurs de réclamer l’étude de la vidéo pendant les matchs. Comment un arbitre le vit-il ?

C’est insupportable. Avant l’apparition de l’assistance vidéo, l’équipe fautive venait par paquet de trois protester devant l’arbitre. Aujourd’hui, les joueurs et certains entraîneurs dessinent ce grand écran pour dire à l’arbitre : « Allez visionner les images, c’est un scandale ! » Dans le cadre du protocole, tout joueur dessinant le grand écran devait se voir distribuer un carton jaune.

Ce début de Mondial ne prouve-t-il pas que la polémique arbitrale est inhérente au football ?

Ce qui est sûr, c’est que tout ce qui sera factuel sera évidemment tranché par la vidéo. Hors-jeu, faute commise à l’abord de la surface… Mais pour tout ce qui sera de l’ordre de l’interprétation, comme les fautes de main, on aura toujours des raisons d’évoquer un penalty sévère ou un penalty non sifflé.