Olivier Giroud. / KAI PFAFFENBACH / REUTERS

Chronique. L’état dépressif chronique caractérise le supporteur de l’équipe de France, et celle-ci se présente pour son huitième de finale contre l’Argentine dans une atmosphère de pessimisme assez radical. A la défiance de longue date envers le sélectionneur s’ajoute une lecture très négative des trois matchs du premier tour. Il est vrai que cette phase de groupes n’a pas livré de quoi rasséréner les angoissés et modérer les Cassandre : les Bleus n’ont survolé aucune rencontre, n’ont pas montré de signes de progrès et ont déçu les attentes aussi bien collectivement qu’individuellement.

Mais le malentendu ne vient-il pas des attentes ? Certes, cette génération est prometteuse, et la France fait logiquement figure de favorite. Justement : beaucoup de favoris ont bien plus souffert – l’Allemagne éliminée et l’Argentine qualifiée d’extrême justesse –, et peuvent envier le constat français d’une première place de groupe sans défaite, blessés ni suspendus.

Un bilan sélectif

Il était cependant légitime de ne pas s’en tenir à ce bilan clinique et d’espérer voir autre chose dans le jeu. De l’espérer, pas forcément de l’exiger comme un dû : on sous-estime la difficulté à négocier la première phase d’une Coupe du monde, au cours de laquelle n’importe quel groupe peut devenir « de la mort », face à des sélections qui se transcendent avec des armes (solidarité, solidité, opportunisme, infusion de plantes locales) de plus en plus mortelles pour les grosses sélections.

Le penchant consistant à noircir de tableau conduit à être très sélectif dans les éléments retenus. Ainsi, un France-Danemark sans grand enjeu, dans lequel un onze remanié affronte un adversaire qui bat des records de refus de jeu doit-il être interprété comme le signe de la médiocrité des Tricolores ?

L’ennui fut certes godardien, mais déjà, pour citer Hal 9000 sur le forum des Cahiers du football : « Aucune raison de se ruer à l’attaque avec une perruque fluo sur la tête en chantant “Opa opa opaaa” pour amuser la galerie. On n’est pas à la foire de Saint-Jean-Pied-de-Port avec des vachettes. » Ensuite, la difficulté à percer des blocs bas n’est-elle pas partagée par presque toutes les sélections majeures ?

Suivant la même logique, on n’a retenu du match contre le Pérou – la meilleure et la plus joueuse des équipes du lot –, que la dernière demi-heure, durant laquelle les Bleus ont fait le choix (que l’on regrette) de subir sans souffrir. Pas l’heure durant laquelle, équilibrés, agressifs et plutôt inspirés, ils ont asphyxié les Sud-Américains, enchaîné de beaux mouvements et obtenu des séries d’occasions nettes.

La possibilité d’une idylle

Ce moment péruvien invalide l’idée que la sélection n’a rien montré ou qu’elle est dépourvue de tout atout. Avec un seul but (très bêtement) encaissé et un taux d’occasions concédées parmi les plus bas, on omet aussi de dire que la solidité défensive, inattendue, n’est pas de mauvais augure dans un tournoi final.

Les inquiétudes les plus légitimes portent sur les joueurs offensifs, qui ont raté les gestes susceptibles de donner un tour moins étriqué à ces trois confrontations et d’en changer l’interprétation : on a peut-être vu trop beaux les Griezmann, Mbappé ou Dembélé, mais un réveil de leurs forces reste probable. Si Pogba confirme ce qu’il a esquissé contre le Pérou, si Kanté reste sur sa lancée, le visage de cette équipe peut vite être transformé.

En 2006, un vent de pessimisme à décorner les Bleus avait déjà soufflé : on avait alors un peu trop littéralement interprété des scores trompeurs (1-1 contre une Corée du Sud qui avait conclu sur un malentendu), les signes d’une progression technique et physique avaient été ignorés. On n’attendit pas d’avoir fini d’aiguiser les machettes pour s’en servir : de toute façon, la France allait se faire équarrir par une jeune Espagne qui avait brillé dans son groupe. A un Messi près, l’Argentine en déroute collective n’a aujourd’hui pas de quoi faire aussi peur.

Au-delà de la déception de voir l’équipe de France sans grand panache (mais quel favori s’est offert ce luxe ?) ni beaucoup d’idées, à défaut d’avoir été enthousiasmé, on peut lui accorder un procès équitable et lui laisser un peu de crédit. Se priver de l’espoir que l’histoire tourne bien, voire s’infliger l’espoir qu’elle tourne court dans le but d’avoir raison à la fin, c’est se priver d’un des plus délicieux plaisirs que peut réserver une Coupe du monde.