L’homme est difficile à joindre, entre ses « réunions » et ses commentaires de matchs pour la chaîne de télévision paraguayenne Telefuturo. Il ne répond d’ailleurs pas directement. Pour avoir son attention, il faut passer au préalable par Enrique Biedermann, à la tête de l’entreprise publicitaire du même nom, qui gère l’image de l’ancien gardien de but.

A bientôt 53 ans, José Luis Chilavert mène sa vie entre son pays natal et Buenos Aires, où il a passé la plus grande partie de sa carrière (à San Lorenzo puis à Vélez Sarsfield). Quand on lui demande de s’arrêter un instant pour faire revivre son Mondial 98, il prévient : « D’accord, mais je n’ai pas une heure devant moi. Zidane ne vous donnerait même pas dix minutes. »

Le gardien buteur – dans sa carrière, entre 1982 et 2004, il a marqué soixante-deux buts, dont huit avec l’Albirroja, la sélection paraguayenne – n’a rien perdu de son goût pour l’attaque et pour la punchline. A quelques jours du début de la Coupe du monde, c’est avec son ancien coéquipier de Vélez Sarsfield, le défenseur argentin champion du monde 1986 Oscar Ruggeri, qu’il s’écharpait à distance sur Twitter. Mais dès lors qu’il se replonge dans l’aventure paraguayenne sur le sol français, seuls des mots doux lui sortent de la bouche. « L’accueil, l’hospitalité, la sympathie du peuple français nous ont beaucoup touchés. L’organisation, elle, était excellente. Pour moi, France 98 est l’une des meilleures Coupes du monde de l’histoire. »

Un plan pour contrer les Bleus

Cet été 1998, le Paraguay, absent des deux précédentes éditions, dispute alors sa cinquième Coupe du monde, grâce à une belle deuxième place dans les éliminatoires de la zone d’Amérique du Sud. « On se retrouve dans un groupe difficile, avec la Bulgarie, l’Espagne et le Nigeria. Tout le monde pensait que le Paraguay ne sortirait pas des poules. On est finalement passé sans trop de problème », fanfaronne « Chila ».

« Avec les gens de Clapiers, il y a eu une connexion incroyable. Ils sont devenus nos premiers supporteurs »

L’entrée dans la compétition a lieu au stade de la Mosson, à Montpellier, contre la Bulgarie (0-0). A une dizaine de kilomètres seulement de la petite ville de Clapiers, où le Paraguay s’était installé pour ce Mondial. « Le maire de Montpellier [Georges Frêche] nous avait déjà très bien reçus, mais avec les gens de Clapiers il y a eu une connexion incroyable. Ils sont devenus nos premiers supporteurs, alors qu’ils n’avaient jamais entendu parler du Paraguay jusque-là », se souvient le gardien de but. La victoire à Toulouse contre le Nigeria (3-1), lors de la dernière journée, scelle le sort des Espagnols, troisièmes, et envoie les Paraguayens à Lens, pour un huitième de finale contre la France, le 28 juin.

En ce dimanche caniculaire, les Bleus sont privés de Zinédine Zidane, suspendu, et les Paraguayens préparent le piège parfait. « Carpeggiani, notre sélectionneur brésilien, avait mis un plan pour bloquer les montées de Henry à droite et de Lizarazu à gauche. Il fallait éviter que ces deux-là combinent avec Pirès. » Les souvenirs de Chilavert vacillent légèrement, Pirès ayant en fait remplacé Henry, blessé, à l’heure de jeu. « Nous, on a raté notre chance, au moment du face-à-face de Cardozo avec Barthez. Il a tiré dans le sol. Dans un Mondial, face à une équipe aussi forte que la France, tu n’as pas le droit de gâcher une telle opportunité. »

« La France a eu sa dose de chance »

Les minutes défilent. Au téléphone, Chilavert se gargarise – comme en 1998 sur le terrain. « Les défenseurs français ont bien fait attention à ne pas faire de faute aux abords de la surface, pour que je ne tire pas de coup franc. J’avais une grande confiance en nous, je voulais aller jusqu’aux tirs au but, je voyais que les supporteurs français avaient peur et commençaient à quitter le stade », dit-il. A la 113e minute de jeu, Laurent Blanc délivre les siens, au bout du suspense. Vaincu, le capitaine paraguayen relève un à un ses coéquipiers, effondrés sur la pelouse du stade Bollaert. « Je leur disais que j’étais fier d’avoir des partenaires comme eux, tombés comme des guerriers. La France a eu sa dose de chance ce jour-là, mais ce fut un beau champion. Le football paraguayen a gagné, lui, un respect à l’international. A notre retour à Asunción, il y avait 40 000 personnes à l’aéroport, c’était merveilleux. Cette campagne a été la base d’une grande période, puisqu’on a disputé quatre mondiaux de suite [de 1998 à 2010]. »

L’idole nationale en profite pour renfiler les gants de boxe et envoyer quelques uppercuts aux dirigeants actuels de la fédération, « des médiocres, tous corrompus ». Les temps sont durs. Déjà absent au Brésil en 2014, le Paraguay n’est pas non plus de l’édition russe. « On a perdu beaucoup de temps, il faut tout reprendre à zéro. Nos chances d’être au Qatar dans quatre ans sont minimes », regrette-il.

La France, José Luis Chilavert l’avait retrouvée deux ans après ce fameux huitième de finale, en signant au RC Strasbourg à l’été 2000. La silhouette s’était un peu arrondie entre-temps. « Ils cherchaient un gardien avec une forte personnalité. J’ai passé d’excellents moments dans cette superbe ville. On a même gagné la Coupe de France. Malheureusement, ils me doivent encore plus de deux millions de dollars. J’espère que la justice française me permettra un jour de les récupérer. »