La cote de confiance des Russes envers Vladimir Poutine s’est effondrée en quelques jours pour revenir à celle de décembre 2011, avec moins de 40 % d’opinions positives. / VASILY FEDOSENKO / REUTERS

La liesse des supporteurs de foot avait quelque peu éclipsé la colère sourde qui s’est emparée d’une bonne partie des Russes depuis l’annonce le 14 juin, jour du coup d’envoi de la Coupe du monde 2018 en Russie, de l’allongement de l’âge de départ en retraite. Cette colère a ressurgi dimanche 1er juillet, en plein Mondial, lorsque des milliers de protestataires sont descendus dans la rue dans une vingtaine de villes.

Parfois autorisées, parfois non, ces manifestations ont épargné les villes-hôtes du tournoi sportif où tout rassemblement est strictement prohibé durant la compétition. A Moscou, cependant, un archéologue de 28 ans a eu le temps de s’afficher tout nu sur la place Rouge, sans être interpellé, avec juste cette pancarte : « Dépouillé jusqu’au slip ».

Ailleurs, les manifestants se sont réunis à l’appel du principal opposant du Kremlin, Alexeï Navalny, mais aussi des communistes, hostiles à la réforme, ou de Russie Juste, deux partis pourtant alliés au pouvoir au Parlement. Plus ou moins fournis les attroupements se sont parfois mélangés. A Omsk, dans l’Oural, 4 500 participants selon les organisateurs, ont réclamé la démission du gouvernement et du président.

Jamais, depuis 1932, date à laquelle l’âge du départ à la retraite avait été fixé sous Staline à 55 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes, le pouvoir n’avais osé s’attaquer à cet acquis social. « Tant que je suis président, une telle décision ne sera pas prise », avait promis Vladimir Poutine en 2005.

Huit années de plus pour les femmes, cinq pour les hommes

La réforme, annoncée par le premier ministre Dmitri Medvedev, prévoit d’allonger progressivement, à partir de 2019, le seuil de départ à la retraite à 65 ans pour les hommes d’ici à 2028 et à 63 ans pour les femmes en 2034. Huit années de plus pour les femmes, cinq pour les hommes qui passent mal dans un pays où la faiblesse des pensions – 183 euros en moyenne par mois – contraint des millions de retraités russes à trouver un travail d’appoint.

Les femmes sont particulièrement vulnérables qui doivent souvent se contenter après 50 ans de petits boulots pour joindre les deux bouts, alors même que leur espérance de vie a augmenté à 77,7 ans. Celle des hommes, elle, reste basse : 67,5 ans. A peine plus de deux ans avant l’âge de départ à la retraite envisagée.

La mesure, couplée à une augmentation de la TVA de 18 % à 20 %, a soulevé un tollé. Une pétition, lancée par un syndicat pourtant loyal au pouvoir, a déjà réuni plus de 2,5 millions de signatures. Les arguments relayés par les chaînes de télévision publiques sur les « avantages » de la réforme, destinée selon le gouvernement à pallier le déséquilibre démographique, n’ont pas convaincu.

Et toutes les tentatives du porte-parole du Kremlin de mettre Vladimir Poutine à l’abri de la tempête sont restées vaines. « Le thème de cette réforme concerne le gouvernement, le président ne participe pas à ces travaux », avait affirmé Dmitri Peskov. In fine, le projet de loi, s’il est voté, devra pourtant être signé par le chef de l’état réélu en mars pour un quatrième mandat.

Cote de confiance au plus bas depuis 2011

Le résultat ne s’est pas fait attendre. Plusieurs sondages attestent d’une baisse brutale de la popularité de Vladimir Poutine. Selon une étude de l’institut VTsIOM rendue publique le 29 juin, sa cote de confiance s’est effondrée en quelques jours pour revenir à celle de décembre 2011, avec moins de 40 % d’opinions positives. Le pire score enregistré depuis douze ans.

À la question « soutenez-vous l’activité présidentielle ? », près de 10 % des sondés avaient déjà changé d’avis entre le 14 juin et le 15 juin, au lendemain de l’annonce. « Avant l’amortisseur, l’airbag, c’était le gouvernement. Le jeu “le tsar est bon, les boyards sont mauvais” est fini », s’est réjoui Leonid Volkov, adjoint de l’opposant Alexeï Navalny. Par crainte d’être interpellé et de devoir passer à nouveau 30 jours en détention pour appel à des rassemblements illicites, ce dernier avait préféré quitter le territoire. Il n’y a eu cependant aucune interpellation parmi les foules de tous âges réunies.

Fait rarissime, plusieurs élus ayant fait part de leur mauvaise humeur – telle la députée conservatrice Natalia Paklonskaïa qui avait indiqué sur son compte Twitter son intention de ne pas voter la loi – le parti Russie unie a tenu une réunion à huis clos le 22 juin pour rappeler à l’ordre les frondeurs. « Il est inacceptable d’avoir des points de vue contradictoires dans nos rangs », a tonné le secrétaire général Andreï Tourtchak, cité par le site RBK. La réforme contestée devrait être examinée en première lecture à la Douma, la chambre basse du parlement russe, le 19 juillet, une fois le Mondial terminé.