Didier Deschamps et Olivier Giroud s’enlassent, après la victoire face à l’Argentine, samedi 30 juin, à Kazan. / Frank Augstein / AP

Chronique. Le match est terminé depuis quelques minutes. Frédéric Calenge, journaliste au bord du terrain pour TF1, interroge Didier Deschamps : « Didier, c’est aussi une revanche face à toutes les critiques reçues ? » Le sélectionneur, dans l’émotion comme rarement, répond, presque gêné : « Des critiques, il y en a, il y en aura toujours… Fallait répondre, on a bien répondu ! »

Quelques instants plus tard, le héros du jour, Kylian Mbappé, se présente à son tour devant le plexiglas couvert de sponsors : « On a dit que je boudais la presse, c’était pas vrai du tout, je ne voulais juste pas être le porte-parole des Bleus. » Sur le plateau de TF1, la journaliste Nathalie Iannetta lance en écho : « C’est vrai, foutons-lui la paix. » Après tout, lui a bien foutu la paix aux médias quelques jours.

Foutons-leur la paix. Plutôt, louons-les d’avoir (enfin) fait vibrer le pays. « Une équipe est née » (TF1), « Match de fou des Bleus qui terrassent l’Argentine », titre LCI. « Les Bleus en quarts, la France en folie », s’enflamme carrément CNews. « Des Bleus renversants » (LCI). « Les Bleus enfin » (BFM TV). Etc. La bascule est évidente. Les Bleus viennent de lancer leur Mondial. L’emballement est là, comme la critique hier. Peu importe si elle était justifiée, le succès face à l’Argentine doit solder quelques comptes envers la presse. Un ressort classique.

« L’heure est à la rédemption »

« On va être gentils et ne pas réécouter quelques “spécialistes” », ironise sur Twitter Michel Denisot. Sur les plateaux télé, on assiste à des scènes étonnantes, entre repentir et chasse aux sorcières. On frise même parfois le ridicule.

A ce jeu-là, Gilles Verdez est un capitaine d’équipe. Après avoir expliqué qu’il vient d’assister « au plus beau match de la France dans l’histoire de la Coupe du monde », il appelle sur CNews à la mobilisation générale « derrière notre équipe de France » et lance les hostilités : « L’heure est à la rédemption pour tous ceux qui salissent cette équipe de France. »

Ce qui ne devrait rester qu’un mauvais et pathétique sketch va devenir un sujet de débat après l’intervention d’Eric Besnard, le présentateur : « Justement, les journalistes doivent-ils être plus derrière cette équipe de France ? » « Mais ce n’est pas notre rôle », répond du tac au tac Pierre Ménes, dont on ne saurait définir le sien, de rôle.

Depuis le début de ce Mondial, cette question surprenante du journaliste supporteur revient régulièrement. Elle fait donc même débat en direct à la télévision. Ces mêmes plateaux où il peut être de bon ton d’afficher ses couleurs (maillot ou maquillage) et d’affirmer haut et fort son soutien à « notre » équipe de France au nom du symbole national. Et on ne parle pas uniquement des ayants droit comme TF1 ou BeIn Sports, producteurs du spectacle et liés par un accord commercial avec l’équipe de France.

La jurisprudence Aimé Jacquet

En réalité, la question de la relation entre les Bleus et la presse est un marronnier qui revient sans cesse depuis 1998 et la jurisprudence Aimé Jacquet. A BFM TV, où l’on débriefe trois à quatre fois par jour, on a pu avoir la dent dure contre ces joueurs tricolores. Après le triomphe contre l’Argentine, l’ancien footballeur et chroniqueur sportif Eric Di Meco assume : « On les a beaucoup critiqués, mais à juste titre parce qu’on espérait autre chose, et là ils viennent de prouver enfin qu’on pouvait s’éclater en regardant un match de foot et qu’il existe bien plusieurs façons de gagner. »

Amusant de voir ces consultants, tous d’anciens joueurs, expliquer que la critique fait partie du jeu, eux qui pour certains la dénonçaient à l’époque. Sur L’Equipe 21, le journaliste Sébastien Tarrago interroge : « Est ce qu’on peut raison garder ? Les critiques étaient justifiées après le premier tour. Qui peut dire que le premier tour était annonciateur de ce nous allions voir contre l’Argentine ? »

Désormais, on efface tout et on recommence. Une analyse peut en cacher une autre. D’ailleurs, la victoire contre les vice-champions du monde et leur Messi ouvre de nouvelles perspectives. « Les Bleus inarrêtables ? » (CNews), « Peuvent-ils aller au bout ? », s’interroge LCI. Sur TF1, partenaire des Bleus, on respire et on se laisse envahir par une douce euphorie, renforcée par un record d’audience (12,5 millions de téléspectateurs, un pic à 15 millions).

Allez les Bleus ! Bixente Lizarazu, en vieux sage, s’en amuse en direct, reprenant un peu tout le monde de volée : « On est passé d’un truc totalement pessimiste, où tout le monde disait qu’on n’avait pas le niveau, à quelque chose de complètement irrationnel, où on va gagner la Coupe du monde. Tranquille, tranquille… » Il plombe un peu l’ambiance.