Le 1er juillet, le skippeur Jean-Luc Van den Heede s’élancera des Sables d’Olonne pour la Golden Globe Race, un tour du monde à l’ancienne à bord de « Matmut », un monocoque de 11 mètres. / Christophe Favreau/GGR/PPL ***2018 Golden Globe Race

« Venez, la démonstration de sextant va commencer », annonce Jean-Luc. La poignée de journalistes entoure aussitôt le marin, intrigués par cet objet qui semble sorti tout droit du musée de la Marine. « Cet appareil sert à mesurer des angles », nous explique notre professeur du jour. « Le principe est le suivant. Je mets mon sextant sur zéro et je vise le soleil. Je le vois dans la partie droite du miroir et, en faisant coulisser cette pièce, je le fais descendre doucement sur l’horizon... sans le perdre ».

Quelques secondes plus tard, par le jeu des miroirs de l’instrument, Jean-Luc voit le soleil presque sur l’horizon. « Maintenant, pour être sûr d’avoir placé le soleil au plus bas, je balance doucement mon sextant de droite à gauche. Ca y est ! Je regarde rapidement ma montre : 17 heures 10 minutes et 10 secondes, puis l’angle qu’indique mon sextant : 37 degrés et cinq minutes. Avec ces deux mesures, je vais pouvoir trouver la perpendiculaire sur laquelle je me trouve pas rapport au soleil ». Rapide consultation des éphémérides nautiques, un ouvrage qui indique pour chaque jour la position des astres, Jean-Luc calcule, à partir de sa position estimée, la hauteur à laquelle il devrait voir le soleil. « Par exemple je devrais le voir à 37 degrés et 30 minutes. Il y a une différence de 25 minutes, soit 25 milles nautiques et je vais pouvoir corriger ma position et, à partir de là, ma route ».

Cette opération, le skippeur français Jean-Luc Van den Heede la répétera presque tous les jours dans les prochains mois, pour peu que le temps ne soit pas couvert. Le 1er juillet, le marin aux cinq tours du monde, dont un contre vents-et-courants, s’élancera à l’assaut d’un nouveau défi, la Golden Globe Race. Un tour du monde sans escale, sans assistance et à l’ancienne. Ni GPS, ni électronique, ni pilote automatique ! Seulement un sextant, des cartes papier, un chronomètre et un poste radio pour tenter de capter de rares bulletins météo, l’heure exacte et, parfois, se repérer.

Le skippeur Australien Mark Sinclair, à bord de « Coconut », fait le point au sextant. / Mark Sinclair/GGR/PPL ***2018 Golden Globe Race

Un tour du monde sans les moyens modernes de navigation, telle est l’aventure proposée par l’Australien Don McIntyre, fondateur et président de l’épreuve. Une nouvelle course à la voile pour en célébrer une autre, le Golden Globe, la légende de la course au large. Il y a cinquante ans, durant l’été 1968, neuf marins quittaient les côtes anglaises pour le premier tour du monde en solitaire et sans escale, sponsorisé par le journal anglais Sunday Times. Un seul marin, le britannique Sir Robin-Knox Johnston, franchira la ligne d’arrivée après 313 jours en mer à bord de Suhaili. Abandons, naufrage, suicide marquèrent ce Golden Globe, comme l’abandon du Français Bernard Moitessier qui, longtemps en tête, fera demi-tour après le Cap Horn pour gagner Tahiti et « sauver son âme ». Le mythe de la course autour du monde en solitaire était né. Le Golden Globe inspirera le BOC Challenge en 1982 puis le Vendée Globe en 1989.

Le 1er juillet, dix-huit skippeurs du monde entier, âgés de 28 à 73 ans s’élanceronr au départ des Sables d’Olonne (Vendée) pour ce tour du monde rétro. Treize nationalités, dont les Français Antoine Cousot, Loïc Lepage, Philippe Péché et J.-L. Van den Heede, le doyen. Une seule femme, la Britannique Susie Goodall, également la benjamine. Au minimum 200 à 250 jours en mer, pour les plus rapides, à bord de voiliers traditionnels de onze mètres, conçus avant 1988. « Un navire de croisière », plaisante Jean-Luc Van den Heede, « enfin une croisière où je vais essayer d’être devant les autres ».

Comme en 1968. Outre l’aspect navigation sans équipements modernes, les marins devront vivre avec les moyens de l’époque. Exit ordinateur, lecteur MP3, lecteur DVD et tout autre appareil moderne pouvant occuper ces mois de solitude en mer. Retour aux cassettes audio, aux films Super 8, aux photos argentiques 35 millimètres et au carnet de bord écrit à la main. « Je suis en train d’enregistrer des heures de musique sur cassettes pour Jean-Luc », commente un des préparateurs du marin. Et retrouver lecteur cassettes et caméra Super-8 en parfait état de fonctionnement, ainsi que les fournitures n’est pas une mince à faire. A tel point, que l’organisation a signé avec Kodak un accord pour l’achat en gros de films Super 8 et 35 millimètres.

PPL PHOTO AGENCY - .Copyright free for editorial use only.PHOTO CREDIT: Barry Pickthall/PPL/GGR***2018 Golden Globe Race. Traditional navigation equipment to be used by skippers in the GGR: Wind-up chronometer, sextant, paper charts, parallel ruler, protractor and trailing log, just as it was 50 years before for Robin Knox-Johnston and Bernard Moitessier. Electronics are banned including GPS, digital watches, iPods, electronic autopilots and digital cameras.The Golden Globe Race starts from Les Sables d'Olonne on 1st July 2018 / Barry Pickthall/PPL/GGR / Barry Pickthall/PPL/GGR

Pourtant, l’organisation de la course a dû faire des concessions à cette année 1968. A commencer par la sécurité. Les dix-huit engagés largueront les amarres avec un équipement de sécurité bien plus moderne qu’en 1968 et plus formés aux secours. Chaque marin aura à son bord un pack de sécurité scellé avec deux téléphones satellites, balise AIS, et moyens de sauvetage et de repérage les plus récents. De plus, outre le suivi obligatoire de formations médicales de premiers secours, les marins ont dû prouver leur capacité à naviguer sous gréement de fortune, comme s’ils avaient subi une grosse avarie de mâture les contraignant à regagner la terre par leurs propres moyens.

Et contrairement à 1968, le public pourra suivre la course et les concurrents 24h/24 grâce à un tracking GPS, comme sur le Vendée Globe ou la Route du Rhum. Car, du point de vue médiatique, la Golden Globe Race est bien une course des années 2000. Les concurrents sont aussi « encouragés » à transmettre à l’organisation des films ou autres documents en trois points précis du globe, retraçant leur épopée autour du globe.

Sextant, radio-gonio, émetteur-récepteur radio BLU...Malgré ses quinze années de skippeur professionnel, François Cousot le reconnaît. Comme les autres, il a dû tout réapprendre pour naviguer à l’ancienne. « Je connaissais le principe du sextant mais j’ai suivi une formation de deux jours », confiait le navigateur. « Je m’entraîne à faire le point sur une carte papier, à prévoir ma météo grâce au baromètre et aux nuages ». Et finalement, la navigation comme en 1968 sera bien leur plus grand défi. Car comme le reconnaît Jean-Luc Van den Heede, certains moyens de l’époque n’existent plus comme le réseau public de radio pour établir des communications téléphoniques avec la terre, les gardiens de phare qui assuraient une présence au quatre coins du globe et permettaient de savoir où on se trouvait.

En revanche pas de regrets coté cambuse, la cuisine des marins. Cette année, si l’Australien Kevin Farbrother a fait surélever les planchers de son bateau, ce n’est pas pour emporter comme Robin-Knox Johnston un an de boîtes de corned-beef, mais, outre des quelques conserves, des plats sous vides ou lyophilisés, moins lourds à transporter et plus variés. Quand on connaît l’importance de la nourriture sur le moral de l’équipage...