C’est notamment grâce à la vitesse de Kylian Mbappé, jeune attaquant tricolore, que les Bleus ont fait la différence, samedi 30 juin, face à l’Argentine. / DYLAN MARTINEZ / REUTERS

Casting de stars, scénario prévisible aux rebondissements parfois improbables mais qui tient en haleine jusqu’au bout : ce France-Argentine, à la mise en scène dynamique mais inégale, fut digne d’un blockbuster. Un spectacle permanent, achevé par la victoire 4-3 de Français qui se sont compliqués tout seuls une tâche abordable. Mais qui, en plus d’éliminer des Argentins endossant le costume de méchants à coups de tacles durs, promet un succès populaire pour la suite. Elle sera en salles dès vendredi 6 juillet, face au voisin uruguayen, équipe qui a l’engagement physique dans son ADN.

Le passage sans transition de l’Albiceleste à la Celeste nécessitera de changer les armes. Car c’est d’abord grâce à la vitesse de Kylian Mbappé, le « Flash » tricolore, que les Bleus ont fait la différence samedi. Comme à son habitude, l’Argentine avait entamé la rencontre en jouant très haut dans le camp adverse, tentant de faire la différence en plaçant de nombreux joueurs en zone offensive. L’objectif : avoir la balle pour dicter le tempo de la rencontre mais aussi libérer Lionel Messi. Théoriquement, si ce dernier a six partenaires à ses côtés, l’adversaire doit se disperser à essayer de les suivre et laisser un peu d’espace au génie argentin. En revanche, si la balle est perdue, il n’y a alors plus grand-monde en couverture…

Comme l’Espagne et l’Allemagne, autres équipes qui veulent créer le déséquilibre mais en perdent leur propre équilibre, l’Argentine se savait sous la menace, surtout face à une attaque aussi rapide que sa défense est lente. Alors, quand Ever Banega rata son contrôle à une vingtaine de mètres du but tricolore, la suite pouvait difficilement bien tourner. Trop lents pour arrêter Mbappé – même illicitement via les fameuses « fautes tactiques » –, les Argentins ne le revoyaient que dans la surface, mais Marcos Rojo, probablement plus très lucide, l’envoyait au sol.

Messi déplacé par Kanté, bloqué par Matuidi

Le penalty d’Antoine Griezmann transformé, la France était alors dans son schéma préférentiel : elle était désormais sûre que les hommes de Jorge Sampaoli se livreraient. En quaterback, Paul Pogba servait un Mbappé toujours aussi rapide mais, cette fois, la faute était devant la surface. « Cette équipe d’Argentine n’aime pas défendre, elle est en difficulté dès qu’on met de la vitesse », confirmera Didier Deschamps au micro de beIN Sports après la partie.

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Et Messi, pendant ce temps ? Pris en défense quasi-individuelle par N’Golo Kanté, il s’exilait côté droit pour toucher des ballons (plus de 50 % des attaques argentines se déroulèrent dans ce couloir) mais y trouvait alors Blaise Matuidi. Bloqué par deux joueurs, il se coupait naturellement du jeu. D’autant que les rampes de lancement étaient en panne : Javier Mascherano gêné par Griezmann et, surtout, Ever Banega bougé par Pogba, c’est tout le circuit préférentiel qui se retrouvait grippé.

Les chiffres à la fin du match font mal : 30 % de duels gagnés par Banega et 19 balles perdues pour seulement 3 récupérées. Pogba, parfois nonchalant dans l’engagement sur ses prises à deux mais discipliné tactiquement, affiche lui 10 récupérations, soit autant que Kanté et Matuidi réunis. Après tout, pas besoin de ratisser quand on envoie l’ennemi dans une impasse…

Erreurs minimes

Dans ces conditions, difficile de reprocher à des Bleus déjà très solides derrière en poules d’avoir attendu à 1-0. Après tout, c’est en laissant beaucoup plus la balle qu’à l’accoutumée que l’Espagne avait infligé une claque 6-1 à ces mêmes Argentins en mars. Et les situations nettes continuaient à arriver à intervalles réguliers, même si un peu de pressing sur une arrière-garde fébrile aurait probablement pu en offrir d’autres. « On a besoin d’espaces pour montrer nos qualités et on l’a très bien fait », jugea Pogba au micro de TF1.

Sauf que, dans le football, les erreurs minimes qui parsèment les matches peuvent avoir de dures conséquences quand l’adversaire a de la réussite à la finition. Un oubli de sortir sur Angel Di Maria, puis une faute de Benjamin Pavard – un travers déjà vu sans conséquence contre l’Australie – suivie d’un mauvais alignement et d’un rebond défavorable plaçaient pour la première fois la France dans la position du chasseur, à 1-2.

Les limites du plan de jeu ? Facile à dire a posteriori. Même les équipes les plus dominatrices concèdent des coups francs et peuvent encaisser des frappes lointaines. Si le travail de l’entraîneur est d’optimiser le ratio occasions créées/concédées, alors Didier Deschamps, dont l’animation offensive sur attaque placée est, à l’inverse, tout à fait critiquable, était bien en train de gagner la bataille.

Une inspiration collective, enfin

Au moins, ce double rebondissement obligeait alors la France à attaquer sans attendre, elle qui le fit sans grande conviction face à l’Australie et au Danemark. Et c’est là que la stratégie argentine depuis le début de la partie, payante au score malgré un quitte ou double presque permanent en possession du ballon, devenait évidente. Cet adversaire prestigieux mais aux joueurs moyens (combien de membres du onze seraient dans la liste des 23 de Deschamps ?) n’attaque pas par panache mais parce qu’il ne sait pas défendre.

Et le bloc, qui s’installait naturellement pour conserver l’avantage, explosait tout seul, sans qu’il n’y ait besoin de beaucoup le bouger. Deux oublis de l’ailier Cristian Pavon, qui laissait Lucas Hernandez partir dans le couloir, permettaient au latéral de centrer sans opposition, ballons dont profitaient Benjamin Pavard puis Kylian Mbappé.

De ce match, que le score reflète bien mal et qui aurait pu être gagné de plein de façons différentes, il reste un moment. Cette passe verticale au cœur du jeu de Kanté, placé entre deux défenseurs centraux écartés (« salida lavolpiana » pour les puristes), de celles que les Bleus ne tentent jamais de peur de se rater. Griezmann à la déviation, Matuidi puis Giroud à la transmission et Mbappé à la finition. Rapide et imparable.

Un quatrième but superbe dans son exécution mais qui importe surtout par ce qu’il dit du potentiel de Bleus alliant, l’espace d’un instant, la vitesse de leur jeu avec la précision du jeu de position espagnol. Pas sûr qu’il y ait une redite, surtout pas contre des Uruguayens qui dressent les barbelés dans l’axe, dans un 4-4-2 losange qui le surcharge. Pas sûr non plus qu’elle soit nécessaire pour gagner la compétition. Mais cette inspiration collective rappelle qu’au-delà du talent de ses joueurs, la France peut marier beauté et efficacité quand elle prend le risque de jouer.

Christophe Kuchly, journaliste pour les Cahiers du football