Il a suffi de quelques tours de clé pour entériner un changement d’époque. En une poignée de secondes, jeudi 29 juin, au bord de la départementale 62, entre Montfort-sur-Meu et Bréal-sous-Montfort, un agent du conseil départemental d’Ille-et-Vilaine a désolidarisé un panneau « 90 » du poteau qui le soutenait, puis l’a remplacé par un équivalent orné du chiffre « 80 ». Sur le moment, la simplicité de l’opération contrastait singulièrement avec l’intensité des débats soulevés, depuis janvier, par la décision gouvernementale d’abaisser la vitesse maximale autorisée de 90 km/h à 80 km/h sur certains axes. Elle témoignait d’une tendance nationale : jusqu’à présent, la transition, pour les services de l’Etat, s’est effectuée sans accroc majeur.

« Quand on a fait le recensement, on s’est aperçus qu’il y avait très peu de panneaux à changer, confie Agnès Chavanon, directrice de cabinet du préfet de Bretagne. Nous-mêmes, on a été surpris. » L’Ille-et-Vilaine ne totalise ainsi « que » 80 unités à remplacer, alors que le département figure parmi les cinq territoires français comptant le plus de kilomètres de voies bidirectionnelles sans séparateur central – les routes concernées par le décret publié mi-juin au Journal officiel. Soit 8 561 km de voies désormais limitées à 80 km/h, contre 10 971 km en Dordogne (département le plus concerné) et zéro à Paris (secteur le moins affecté). La relative faiblesse du nombre de panneaux à remplacer – 20 000 à l’échelle nationale – s’explique simplement : « Comme le 90 était la règle, il n’y avait pas systématiquement, sur chaque route concernée, de panneaux rappelant cette règle », détaille Mme Chavanon.

Supervisée localement par la préfecture d’Ille-et-Vilaine, la transition a incombé, dans les faits, au conseil départemental, gestionnaire de la majorité des axes en question. Ce dernier était chargé de commander les nouveaux équipements, puis d’organiser leur installation, prévue en deux temps. Après leur mise en place jeudi 28 et vendredi 29 juin, les panneaux ont été temporairement bâchés. Ils doivent être découverts, lundi 2 juillet, lendemain de l’entrée en vigueur de la mesure, par les agents du conseil départemental. Coût total des opérations : « 11 000 € », matériel et main-d’œuvre compris, selon André Lefeuvre, vice-président (PRG) du conseil départemental d’Ille-et-Vilaine. L’intégralité de la somme doit être remboursée par l’Etat « dans les prochains mois ».

Nicolas Legendre / Le Monde

« On ne peut pas être insensibles à l’appel du gouvernement. »

Jeudi 28 juin, peu avant la pose, devant les journalistes, du panneau « 80 » sur la départementale 62, M. Lefeuvre confiait son assentiment à propos de la mesure gouvernementale. A l’image de la majorité de gauche dont il fait partie, et contrairement à certains de ses homologues de l’Hexagone, il n’a jamais exprimé de désaccord public à ce sujet, ni menacé de ne pas appliquer le décret. Il reconnaît qu’il aurait « aimé que la limitation soit adaptée en fonction de la configuration des routes, plutôt que généralisée », mais ajoute : « On a, en Ille-et-Vilaine, le souci de la sécurité routière. On ne peut pas être insensibles à l’appel du gouvernement. » L’élu fait référence à la possibilité (contestée par les détracteurs de la nouvelle réglementation) de sauver « entre 300 et 400 vies par an » grâce à l’abaissement de la vitesse. Or, le département connaît, à l’instar du pays dans son ensemble, un certain relâchement de la vigilance des automobilistes. Entre 2014 et 2017, le nombre annuel de tués sur les routes d’Ille-et-Vilaine a presque doublé, passant de 28 à 54. La vitesse était en cause dans environ 25 % des cas. « On sait que, quand on baisse la limitation de vitesse, on baisse le nombre de tués », estime M. Lefeuvre.

Mikaël Chouih ne partage pas ce point de vue. Membre du conseil d’administration de l’antenne locale de la Fédération française des motards en colère, il considère que la mesure du gouvernement « détourne l’attention des vraies causes » de l’insécurité routière. « On n’est pas dupes, ajoute-t-il. Tout le monde sait que l’abaissement de la vitesse est un moyen pour l’Etat de se faire de l’argent ! » Avec les membres de son association (entre 100 et 150 personnes en Ille-et-Vilaine), M. Chouih a mené plusieurs actions « anti-80 km/h » depuis le début de l’année. Il devait se rendre, samedi 30 juin, au rassemblement national prévu devant le château de Vincennes (Val-de-Marne), organisé par des associations d’automobilistes.

« On n’est pas résignés », assure le motard, même s’il reconnaît que les usagers de la route ne se sont, jusqu’à présent, « pas mobilisés plus que ça » contre l’abaissement de la limitation. « La meilleure chose à faire, c’est de laisser les amendes pleuvoir et faire leur effet », conclut-il.

Nicolas Legendre / Le Monde

Radars programmés

La « pluie » pourrait commencer à tomber très prochainement. En Ille-et-Vilaine, les 25 radars fixes disposés sur les routes concernées par le décret doivent être paramétrés automatiquement pour flasher, dès le 1er juillet, les automobilistes roulant à plus de 80 km/h. Les forces de l’ordre, quant à elles, ne verbaliseront pas avant septembre. « En juillet et août, pour les dépassements de moins de 20 km/h, il y aura des alternatives aux poursuites, explique Hubert Courville, commandant de l’escadron départemental de sécurité routière d’Ille-et-Vilaine. Les automobilistes interceptés auront droit à des explications sur la réglementation. Nous leur remettrons un flyer et les laisserons repartir. » Une première opération de ce genre doit avoir lieu, dès dimanche 1er juillet, dans la campagne haute-bretonne.