Difficile de savoir ce qui se passe dans la tête de Lionel Messi. L’homme n’est pas des plus expressifs. Une chose est sûre : le numéro 10 argentin a traversé sa quatrième Coupe du monde le regard vide, à l’image de cet instant de solitude, samedi 30 juin sur la pelouse de la Kazan Arena, quelques minutes après l’élimination prématurée des Argentins par les Bleus. Perdu au milieu d’un collectif sans queue ni tête, il a semblé lui-même ne jamais trop y croire.

C’est pourtant bien lui qui, d’un triplé contre l’Equateur, avait envoyé sur le gong son pays en Russie. D’un but exceptionnel contre le Nigeria, lors du dernier match de poules, c’est encore lui qui avait sonné la révolte et remis les siens sur la route des huitièmes de finale, après un début de Mondial chaotique. Un des rares – et brefs – moments où l’on aura vu l’astre du FC Barcelone exprimer sa joie pendant ces quelques semaines russes.

Plombé par son penalty manqué contre l’Islande, Messi aurait en fait perdu le sourire avant même le début de la compétition. Le malaise remonterait à la diffusion dans la presse d’une vidéo WhatsApp dans laquelle on voit Sergio Agüero, son fidèle partenaire de chambrée en sélection, lui adresser un regard complice tout en parlant à un ami commun des deux joueurs de « jolies petites choses ». D’après les médias argentins, cette vidéo aurait été mal vécue par Antonella Roccuzzo, la femme et mère des trois enfants de « Leo », absente lors des trois premiers matchs de l’Argentine en Russie. Passé sans dire un mot en zone mixte après la défaite face à la France, Messi, 31 ans, n’a rien laissé paraître à propos de son avenir avec l’équipe nationale.

Une décennie de hauts et de bas

Alors qu’un grand chamboulement est attendu pour l’Albiceleste – Mascherano et Biglia ont déjà annoncé leur retraite internationale –, la génération Messi clôt tristement une décennie faite de hauts et de bas. Ainsi, elle n’a jamais pu confirmer les promesses qu’avaient représentées les victoires aux championnats du monde des moins de 20 ans (2005) et aux Jeux olympiques (2008). Les quatre finales perdues par Messi, en Copa America (2007, 2015, 2016) et en Coupe du monde (2014), ne suffisent pas à satisfaire un pays pour lequel seule la victoire compte. « En Russie, on n’a pas vu le Messi que nous connaissons tous, regrette Delio Onnis, le meilleur buteur de l’histoire du championnat de France. Au moins, ça nous montre que c’est un être humain, qui ne peut pas être au top à tous les matchs. Ce qui est incroyable, c’est que beaucoup de gens ne l’aiment pas ici. Le supporteur argentin, il croit tout savoir, tout connaître. Il est trop passionné. »

Depuis ses débuts internationaux, l’ombre de Maradona n’a jamais cessé de planer sur son héritier désigné. Malgré un talent hors norme et quelques belles épopées, le gaucher de Rosario n’aura donc pas réussi à entrer dans tous les cœurs argentins. A l’heure du bilan, cette Coupe du monde 2018, peut-être sa dernière, est la plus décevante de toute. « Tout ce poids qui pèse sur lui seul, c’est un peu absurde, juge un journaliste argentin qui a accompagné la sélection en Russie. Le problème, c’est qu’il décidait un peu de tout dans cette sélection. S’il veut que Banega joue, il joue. S’il veut que Dybala ne joue pas, il ne joue pas. En fin de compte, avec tous les historiques sur le terrain, tu te retrouves avec une équipe trop lente pour le plus haut niveau. »

« A 31 ans, il n’est pas encore vieux »

Imposés ou non, les vieux acolytes de la Pulga (« la Puce ») en sélection ont pris l’eau face aux jambes de feu de Kylian Mbappé. « L’Argentine n’a dominé aucun de ses adversaires, à part peut-être le Nigeria pendant vingt minutes. Elle n’avait pas de rythme, pas de pression. Dans ces conditions, c’était trop difficile pour Messi de s’exprimer », analyse le champion du monde argentin 1986 Ricardo Bochini.

Pour le meneur de jeu historique d’Independiente, ancienne idole de Maradona, ce n’est pas en Russie que Messi est passé à côté de son rêve de titre mondial, mais en Allemagne, en 2006. « Pékerman avait manqué d’audace en le laissant sur le banc contre l’Allemagne [1-1, défaite 4-2 aux tirs au but en quarts de finale]. C’était clairement la meilleure équipe qu’a eu Messi dans ses quatre Mondiaux. Il y avait Riquelme, Aimar, Tévez, Crespo, Ayala… Des joueurs beaucoup plus forts que ceux d’aujourd’hui. En 2010, Diego [Maradona, alors sélectionneur] l’avait bien entouré, mais il s’était trompé en défense en mettant Otamendi arrière droit, ce qui nous avait coûté cher face aux Allemands [défaite 4-0 en quart de finale]. »

Au Brésil, en 2014, c’est encore et toujours la Mannschaft qui s’était dressée face au rêve de Messi, caressé jusqu’au bout d’une finale cruelle au cours de laquelle il n’avait pas su trouver la faille (défaite 1-0 en prolongation). Aura-t-il droit à une dernière chance, dans quatre ans au Qatar, avec une nouvelle génération pour l’entourer ? « Je l’espère vraiment, répond Delio Onnis. Il est toujours le meilleur joueur du monde, et à 31 ans il n’est pas encore vieux. »