Mateusz Morawiecki, le premier ministre polonais, à Bruxelles, le 29 juin. / Olivier Matthys / AP

Editorial du « Monde ». Le mardi 3 juillet est à marquer d’une pierre blanche pour la Pologne et pour l’Union européenne : c’est le jour de l’entrée en vigueur de la très controversée législation sur la réforme du système judiciaire polonais, au cœur d’un différend de fond avec la plupart des Etats membres, contentieux qui n’a pas évolué, malgré six mois de discussions entre Varsovie et Bruxelles.

Le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a réaffirmé, le 28 juin, devant le Parlement européen que cette réforme portait atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire. La Commission a pris, en décembre, la décision sans précédent de déclencher l’article 7 du traité de l’UE contre la Pologne, qui peut théoriquement aboutir à priver un Etat membre de son droit de vote au Conseil. Le gouvernement polonais, dirigé par le parti conservateur nationaliste Droit et justice (PiS), a de nouveau été entendu trois heures durant, le 26 juin, par l’ensemble des ministres des affaires européennes de l’Union, réunis à Luxembourg ; le consensus qui s’en est dégagé est que les aménagements proposés par Varsovie à sa réforme judiciaire ne sont que cosmétiques. L’Etat de droit reste donc menacé.

Situation bloquée

En vertu de cette loi, le ministère de la justice est en mesure, dès le 4 juillet au matin, de démettre de leurs fonctions 27 des 63 juges de la Cour suprême, dont sa présidente, en raison de leur âge, puisque le texte impose à ces juges de prendre leur retraite à 65 ans au lieu de 70 ans précédemment. Officiellement, cette loi vise à purger le système judiciaire des magistrats ayant servi sous le régime communiste – qui s’est effondré il y a près de trente ans. Pour les défenseurs de l’Etat de droit, cette réforme, qui attribue des compétences élargies au ministre de la justice, a pour but de renforcer le contrôle de l’exécutif.

Jeudi 28 juin, les 63 juges de la Cour suprême polonaise, réunis en assemblée générale, ont décidé de tous rester à leur poste, à commencer par leur première présidente, Malgorzata Gersdorf, qui aura 66 ans cette année. Le ministère a aussitôt réagi en faisant savoir que le mandat de Mme Gersdorf prendrait fin le 4 juillet et que le président de la République nommerait son remplaçant, en attendant l’élection d’un successeur définitif.

La situation paraît donc dangereusement bloquée. Le gouvernement polonais est inflexible. En Pologne et ailleurs, les organisations de défense de la démocratie sont très mobilisées. A Bruxelles, la Commission passe pour être divisée sur la tactique à suivre, d’autant plus que l’article 7 a peu de chance d’aboutir : il requiert l’unanimité, et la Hongrie a indiqué qu’elle soutiendrait la Pologne. De nombreux Etats membres, dont la France et l’Allemagne, sont en faveur de la fermeté sur l’Etat de droit, principe fondamental de l’UE. Une alternative à l’article 7 recueille de plus en plus de soutiens : conditionner l’attribution des importantes subventions de l’Union à la Pologne et à la Hongrie au respect de l’Etat de droit.

C’est la bonne voie. Mercredi, le premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, sera l’invité du Parlement européen, comme d’autres chefs de gouvernement avant lui ; il aura ainsi l’occasion de faire enfin preuve d’ouverture. Soucieuse de ne pas se brouiller avec les Etats-Unis et Israël, la Pologne vient d’assouplir sa loi sur l’Holocauste. M. Morawiecki pourra ainsi montrer que l’opinion de ses partenaires européens compte au moins autant à ses yeux que celle du président Trump.