TV – « Enfants fantômes : un défi pour l’Afrique »
TV – « Enfants fantômes : un défi pour l’Afrique »
Par Pierre Lepidi
Notre choix du soir. Dominique Tchimbakala a enquêté au Sénégal, au Mali et au Burkina Faso sur ces millions de jeunes sans existence légale (sur LCP à 20 h 30).
Ils sont vivants mais n’existent pas aux yeux de la société. En Afrique de l’Ouest et du centre, l’Unicef évalue à près de 45 millions, soit entre 20 % et 30 %, le nombre d’enfants âgés de moins de 5 ans non enregistrés à l’état civil. Dans Enfants fantômes : un défi pour l’Afrique, Dominique Tchimbakala enquête, avec le réalisateur Clément Alline, au Sénégal, au Mali et au Burkina Faso sur ces jeunes privés de reconnaissance sur le plan juridique.
La journaliste rencontre ces « invisibles », écoliers ou collégiens, et montre sans voyeurisme leurs difficultés. Sans un certificat de naissance en Casamance, au sud du Sénégal par exemple, on n’a pas le droit de poursuivre l’école après le CM2. Les seules options pour les enfants, y compris les meilleurs élèves, c’est de finir à la rue pour les garçons, ou bonnes à tout faire pour les filles âgées d’une dizaine d’années.
Cette enquête intéressante, même si elle manque parfois de rythme, permet d’expliquer les causes et conséquences d’un phénomène qui ravage l’Afrique et devrait toucher de plus en plus d’enfants. « Avec la croissance démographique et si aucun progrès significatif n’est réalisé d’ici à 2030, il devrait y avoir près de 60 millions d’enfants sans existence légale », assure Mirkka Mattila, responsable de la protection de l’enfance à l’Unicef en Afrique de l’Ouest et centrale. Les causes sont multiples : l’absence des pères, obligés de s’éloigner du foyer pour travailler, au moment de l’accouchement et le manque de structures administratives. Dans la région d’Oula, au Burkina Faso, on ne trouve par exemple qu’un centre administratif pour 62 villages.
Battus et exploités
« Si on veut faire les démarches pour son enfant, il faut payer le carburant de la moto », dit un père de famille qui habite dans cette zone très reculée, où le taux d’enregistrement ne dépasse pas 40 %. Dans la petite mairie de la commune, les documents administratifs ne sont pas classés, pas protégés. « Il y a des archives qui se perdent et donc des identités qui se perdent, déplore, impuissant, Saint-Vincent-de-Paul Ouedraogo, agent de l’état civil, en tenant dans sa main un amas de papiers officiels. Ça peut jouer sur les enfants. »
Le documentaire se penche, mais peut-être pas assez, sur les enfants inscrits dans des écoles coraniques. Au Mali, où 50 % de la population a moins de 15 ans, on ne peut entrer au CP sans une attestation de l’état civil et donc un acte de naissance. Beaucoup de jeunes garçons se retrouvent dans des structures pseudo-religieuses, où ils « troquent leur tablette coranique l’après-midi pour un seau en plastique afin d’aller mendier de l’argent pour leur marabout ». Des ONG comme Human Rights Watch dénoncent régulièrement l’exploitation, sous couvert d’éducation, de ces enfants « battus par leurs prétendus maîtres et soumis à des conditions de vie déplorables ».
Elèves dans une école coranique, au Mali, en 2018. / LCP
De Dakar à Bamako, ils sont des centaines de milliers à quémander chaque jour quelques pièces de monnaie sur les grands axes de circulation. Ils n’ont pas 10 ans et sont les victimes d’un cercle vicieux. Inconnus des structures administratives, ces enfants ne sont pas comptabilisés dans les statistiques officielles de pays qui peinent à planifier leur développement, en partie parce qu’ils connaissent mal leur population.
Enfants fantômes : un défi pour l’Afrique, de Clément Alline et Dominique Tchimbakala (Fr., 2018, 52 minutes).