Deux « trolls » en chair et en os à la barre du tribunal correctionnel de Paris. Même rudimentaire, on n’allait pas rater cet échantillon des pollueurs du web qui, sous les pseudonymes les plus poétiques, « putefeministe » ou « monfoutredejuif », inondent les réseaux sociaux de leurs aigreurs. L’un et l’autre ont comparu, mardi 3 juillet, pour avoir menacé la journaliste d’Europe 1, Nadia Daam qui, dans une chronique, avait osé s’en prendre à leur forum familier, « Blabla 18-25 » sur le site Jeuxvideo.com pour en dénoncer les dérives misogynes.

A la suite d’une plainte de la chroniqueuse, les enquêteurs qui ont fouillé les entrailles du Web à la recherche des auteurs des milliers de messages injurieux et menaçants déversés pendant des semaines, en ont identifié sept. Trois à Paris, dont un mineur qui a fait l’objet d’une procédure distincte et quatre en province, qui sont eux aussi poursuivis. Le premier, renvoyé pour « menaces de mort », s’abrite sous le nom de « Tintindealer » – numéroté de 1 à 50, selon ses comptes – il a 21 ans, il est technicien chez Orange. Le second, qui doit répondre de « menaces de crime », sévit notamment sous les identités de « Quatrecenttrois », « Spermsurclavier » ou « salairedeprolo ». Il a 35 ans, il est administrateur de base de données. Tous deux portent des lunettes sages, le plus jeune est nettement plus honteux que son aîné.

Un matin d’octobre 2017, alors qu’il était sur son lieu de travail, il a allumé son téléphone pour « discuter normalement avec [ses] amis virtuels sur Twitter » très remontés contre les propos de la journaliste sur le forum 18-25. Voulant aussitôt prendre sa part de l’indignation, sans même se donner le temps d’écouter la chronique en cause, il a tapé « Daesh montage » et « NadiaDaam » sur Google, trouvé les photos qu’il cherchait et posté sur son compte une image de la journaliste sous les traits d’un otage de l’organisation Etat islamique sur le point de se faire exécuter. Il trouvait ça « humoristique », avait-il expliqué aux policiers sur procès-verbal et précisé que « personnellement », il « n’aimait pas trop les féministes ».

« J’suis pas Guillaume Apollinaire non plus ! »

A la présidente qui lui répète ses propos, il répond, gêné : « C’est vrai, c’est pas vraiment humoristique. Et aussi, je n’ai pas de problème avec le féminisme. Avec le recul, je m’aperçois que c’est grave et je présente mes excuses. » Sur le ton de l’absolue contrition, il répète que ce qu’il a fait est « inacceptable », présente ses excuses à la chroniqueuse et assure que la leçon a été retenue. « J’ai fermé mes comptes depuis », dit-il.

« Quatrecenttrois » ou « Spermsurclavier » n’a pas même l’excuse de la jeunesse. On se demande d’ailleurs ce qu’il fiche à 35 ans, sur un forum 18-25. A moins que pour cela justement, il ne soit représentatif de la bulle des « forumers » et de leurs frustrations. Ce jour-là, il était « comme d’habitude » à la fois devant un jeu vidéo en ligne et sur le forum, quand il a posté : « En tout cas, la MILF [pour Mum I’d like to fuck] brunette, je lui remplis sa petite bouche de mon foutre. » « Ça m’a pris trois secondes, j’y ai même pas pensé. C’était juste pour troller. » Il admet : « C’était une image, comme “je vais te couper les oreilles en pointe” ou “je vais te décrocher la lune”. Bon, j’étais pas très inspiré, voilà. J’suis pas Guillaume Apollinaire non plus ! »

« Quatrecenttrois » est aujourd’hui très ennuyé parce que, explique-t-il, le retentissement de cette histoire a eu des répercussions sur sa vie : « J’ai été mis à pied par mon employeur. » Il aurait d’ailleurs volontiers continué à se plaindre de son sort si son avocat ne lui avait sèchement demandé de se taire.

Nadia Daam, elle, raconte à la barre des mois de harcèlement, la photo de sa fille mise en ligne accompagnée de menaces de viols, le piratage de tous ses comptes sur les réseaux sociaux, les coups de pied frappés sur sa porte de nuit jusqu’à une intrusion à son domicile où seuls les ordinateurs ont été dérobés. « C’est compliqué d’expliquer à sa fille de douze ans qu’elle est menacée de viol, comme sa mère et de l’emmener dormir par sécurité à l’hôtel », raconte-t-elle.

L’enjeu de la plainte de la journaliste, explique son avocat, Me Eric Morain, vise à « faire savoir que ce type de menaces virtuelles ne reste pas impuni », même s’il n’est pas question de faire porter sur les seules épaules de « Tintindealer » et de « Quatrecentrois » la violence et le déferlement de haine qu’elle a subie. Les deux trolls ont été condamnés à six mois d’emprisonnement avec sursis et 2 000 euros de dommages et intérêts. Retour au monde réel.