L’avis du « Monde » – à voir

C’est une île-monde aux confins de la banlieue parisienne, un petit coin de paradis niché dans une courbe de l’Oise, avec ses étangs scintillants, ses rives boisées, ses plages aménagées, ses coins d’ombre et ses passages secrets. Aux beaux jours, les Franciliens viennent de plus ou moins loin pour s’y octroyer un moment de détente.

Lire l’entretien avec Guillaume Brac : « C’est un film de banlieue sans la banlieue »

Cet endroit – l’île de loisirs de Cergy-Pontoise –, c’est le territoire que Guillaume Brac s’est donné à explorer pour son deuxième long-métrage, qui opère un détour par le documentaire. Brac n’en poursuit pas moins le même sentiment que dans ses fictions précédentes : celui de la « vacance », cette poche de temps qui libère l’existence, la rend plus douce, plus sensible, plus cruelle parfois. Or, c’est ce même sentiment qu’on retrouve à la base de Cergy (en elle-même insignifiante) : un concentré de disponibilité, une réserve inépuisable de rencontres, de visages, de silhouettes, de conversations et de façons d’être.

Un imaginaire aventurier

Fidèle à l’appel stevensonien de son titre, L’Ile au trésor convoque dès les premières images un imaginaire aventurier : une bande de gamins s’infiltre en douce dans le parc, dont l’entrée est payante, mais se font vite repérer par des vigiles qui les reconduisent à la sortie. Le film ne cesse ensuite de voguer au gré des rencontres, passant d’adolescents dragueurs en retraités nostalgiques, de plongeurs turbulents aux agents de prévention décontractés, de resquilleurs aux as du barbecue…

Guillaume Brac prend soin de varier ses modalités d’approche (saynètes, entretiens, récits en voix off) et privilégie les plans larges pour replacer chacun dans l’étendue indolente de son bout de nature. Ainsi rassemblés, les plaisanciers composent un portrait mixte et bigarré de la France d’aujourd’hui, une petite Babel à ciel ouvert où se croisent diverses cultures, langues et provenances.

Jeu du chat et de la souris

Affable et optimiste, Brac ne se livre pas pour autant à une célébration simpliste du vivre-ensemble. Au contraire, il n’oublie pas qu’un territoire n’existe qu’en fonction de sa clôture : ces hautes grilles d’acier filmées à plusieurs reprises, qui séparent ceux qui peuvent entrer de ceux qui n’en ont pas les moyens. Clôture transgressée à plusieurs reprises, dans un jeu permanent du chat et de la souris. Lors d’un beau passage, un ancien professeur évoque ces mêmes lieux au temps de son enfance, lorsqu’ils étaient sauvages, et rappelle la prise en charge du site, dès 1965, par les pouvoirs publics, pour son « aménagement » en base de loisirs. Se dessine alors, en filigrane, une certaine évolution du paysage français, toujours moins agreste et plus quadrillé.

L’Ile au trésor s’affirme ainsi comme un beau film sur la règle (les briefings de la direction) et ses contournements (chacun cherche à se baigner où il veut). Le montage invente une temporalité à la fois ouverte et déclinante, qui s’enfonce doucement dans la nuit. Des étudiants saisonniers restent clandestinement sur le site après la fermeture pour y poursuivre leurs idylles : le règlement s’estompe avec le jour et tout redevient possible, comme accéder à des endroits secrets ou interdits. Intervient alors un passage magnifique où les adolescents naviguent en paddle jusqu’au pied d’une étrange pyramide perdue au milieu des eaux. Tout, de la surface mercurielle du fleuve aux reflets irisés du crépuscule, revêt alors un aspect irréel. A ce moment-là, l’idée d’exploration se pare d’un sens nouveau : surprendre la beauté là où elle se trouve, en n’hésitant pas à s’aventurer hors des clous.

L'ILE AU TRESOR bande annonce officielle

Documentaire français de Guillaume Brac (1 h 37). Sur le Web : www.filmsdulosange.fr/fr/film/249/l-ile-au-tresor