Benjamin Pavard après son but mémorable contre l’Argentine (4-3), en huitièmes de finale du Mondial russe, samedi 30 juin à Kazan. / SAEED KHAN / AFP

Peut-être les commémorations de Mai 68 ont-elles aussi inspiré Didier Deschamps. On verrait bien le sélectionneur de l’équipe de France, né à peine cinq mois après le joli mois, inviter ses petits Bleus à jouer « sans entraves ». Ou encore les exhorter, au ras de la pelouse : « Cours, camarade, le vieux monde est derrière toi ! »

« DD » compte plus que jamais cet été sur la jeunesse de son groupe, partant du principe qu’elle forme le voyage, et non l’inverse. Vendredi 6 juillet, les Bleus devraient de nouveau afficher l’une des moyennes d’âge les plus basses de cette Coupe du monde en Russie. Ils affronteront l’Uruguay en quarts de finale, dans la ville à l’histoire moyenâgeuse, elle, de Nijni Novgorod.

En conférence de presse, cette inexpérience revient souvent dans ses explications. Soit pour justifier un premier tour laborieux contre l’Australie (2-1), le Pérou (1-0) et le Danemark (0-0) : « Notre compteur de sélections est faible, ce qui n’empêche pas la qualité, mais il faut de la patience, même s’il n’y en a pas au haut niveau, tout au plus de l’indulgence. » Soit pour se féliciter de ce qui a suivi : un match plein d’entrain en huitièmes de finale contre l’Argentine (4-3) : « On a mis de la folie, il y a de ça dans cette équipe, et on a besoin de ça. »

Cette histoire de fou a un personnage principal, Kylian Mbappé, que la planète football présente déjà comme son futur astre solaire. Même sans permis de conduire, à tout juste 19 ans et demi, l’attaquant du Paris-Saint-Germain roule déjà à tout berzingue. Son doublé face aux Argentins a fait de lui le plus jeune joueur à inscrire au moins deux buts en Coupe du monde depuis une époque vieille comme le roi Hérode. Ou plus exactement comme le roi Pelé, la légende brésilienne de 1958.

Une chanson à la gloire de Pavard

La victoire a également médiatisé les frisottis de Benjamin Pavard, encore inconnu du grand public il y a un an. Ce samedi 30 juin, à Kazan, la France se retrouve menée au score (2-1) peu après la mi-temps. Jusqu’à son égalisation improbable. Sur le flanc gauche, Lucas Hernandez centre pour le susnommé Pavard : côté opposé, reprise de volée sans contrôle à l’extérieur de la surface ! Les deux défenseurs soudain aux avant-postes ont pour eux l’audace de leurs 22 ans. « Ces joueurs-là ne sont pas bridés, apprécie l’entraîneur adjoint, Guy Stéphan. On est l’équipe qui a le plus centré en poule. Par contre, on a raté beaucoup de centres, à cause de problèmes techniques. »

« Il suffit de les voir à l’entraînement quand ils font leurs petits jeux. on croirait des gamins qui jouent dans la cour de l’école »
Pierre Mankowski, ancien entraîneur de l’équipe de France espoirs

Cette reprise de volée vaut désormais à Benjamin Pavard une chanson. Rimée, mais guère poétique : « Il sort de nulle part, une frappe de bâtard, on a Benjamin Pavard ! » Dans un registre plus convenu, le défenseur de Stuttgart a également reçu l’onction dominicale de l’émission « Téléfoot ». Au lendemain du match, il expliquait sur TF1 n’avoir « pas dormi une minute », encore tout à l’excitation de son but. Puis écrasait quelques larmes, lèvres tremblotantes, à la diffusion d’un message enregistré de ses parents.

Didier Deschamps aussi a un fils, du nom d’un Prix Nobel américain de littérature : Dylan, étudiant en école de commerce, a exactement le même âge. « La nouvelle génération de joueurs a des codes différents, des centres d’intérêt différents. Si je n’ai pas la connexion, si je n’ai pas le bon canal, je ne peux pas parler avec eux, expliquait-il lors d’un entretien paru en juin dans le magazine du bihebdomadaire Midi olympique, pourtant spécialisé dans le rugby. Heureusement, j’ai la chance d’avoir un fils de 22 ans et ça me sert. Quand je vois l’utilisation qui est faite des réseaux sociaux, ça me dépasse, mais je ne suis pas là pour la leur interdire. »

Chandement de paradigme

Malgré Internet, ces jeunes gens savent encore s’amuser sur les terrains de football. Pierre Mankowski les a connus lorsqu’il dirigeait l’équipe de France des moins de 20 ans ou celle des Espoirs. « Le groupe d’aujourd’hui se connaît très bien, on ressent beaucoup d’amitié entre eux. Un groupe de potes. » En bon formateur, leur ancien entraîneur apprécie « la fraîcheur de cette belle jeunesse » : « Il suffit de les voir à l’entraînement quand ils font leurs petits jeux, quand ils marquent un but, on croirait des gamins qui jouent dans la cour de l’école. » Revient de nouveau le nom de Benjamin Pavard : « Sa reprise de volée représente l’insouciance générale de cette équipe. S’il avait réfléchi plus, il aurait d’abord voulu contrôler le ballon plutôt que de frapper. »

Par un intéressant changement de paradigme, cette candeur semble maintenant un atout, là même où elle semblait un point faible à l’approche du Mondial. Mais, tôt ou tard, ses côtés moins sympathiques pourraient tout aussi bien se retourner contre l’équipe. « Quand j’ai vu cette sélection bourrée de talent, j’ai toujours pensé qu’elle pourrait aller très loin, mais aussi que, sur un match, elle pourrait être complètement absente, admet Pierre Mankowski. Il n’y a pas beaucoup de joueurs d’expérience pour remettre tout le monde dans le droit chemin le jour où ça n’irait pas trop. »

En 2013, Paul Pobga devenait champion du monde des moins de 20 ans. Aujourd’hui, l’ancien capitaine des Bleuets prend déjà à son compte le jeu des Bleus. Le milieu a pourtant seulement 25 ans, le même âge que le défenseur Raphaël Varane, vice-capitaine de la sélection actuelle. Quant à Antoine Griezmann, ses 27 ans donnent déjà à l’avant-centre l’air d’un grabataire. Le brassard de capitaine revient cependant au gardien Hugo Lloris, l’un des rares trentenaires avec Adil Rami, Blaise Matuidi, Olivier Giroud et Steve Mandanda.

« Deschamps met les meilleurs joueurs possibles »

Pour en rester aux statistiques, on retiendra de ces vingt-trois joueurs qu’ils affichent une moyenne d’âge encore inférieure à celle des champions du monde français de 1998 : 25,6 ans, contre 26,7 pour leurs illustres aînés. Deschamps avait 29 ans lors du titre. Seuls Thierry Henry, David Trezeguet et Patrick Vieira en avaient moins de 24, tous à l’aube d’une belle carrière. « Ils étaient très timides, on ne les entendait pas trop. Ils se retrouvaient un peu comme des juniors qui arrivaient dans une équipe professionnelle, se souvient Philippe Bergeroo, à l’époque entraîneur des gardiens. Chez les joueurs, on avait désigné quelques parrains pour s’occuper de ces jeunes, pour qu’ils ne se retrouvent pas en grosse difficulté. »

Désormais, voilà donc les jeunes en majorité, et déjà tous appelés à prendre leurs responsabilités. Pas toujours un cadeau pour eux, selon Yannick Stopyra, champion d’Europe 1984 à seulement 23 ans : « Pour Mbappé, grâce à son match contre l’Argentine, sa jeunesse va maintenant être une force terrible. Mais pour ceux qui n’ont pas encore de match référence au Mondial, comme Ousmane Dembelé, elle peut devenir un handicap. Ils ont à peine plus de 20 ans et on leur demande de qualifier la France, de marquer des buts, de faire gagner l’équipe… » Corentin Tolisso attend aussi le déclic. Malgré des matchs de préparation prometteurs, le milieu du Bayern Munich a déçu lors de son premier match du Mondial contre l’Australie. « Peut-être que je l’ai mal abordé », reconnaissait le joueur, qui se prépare malgré tout à une nouvelle titularisation contre l’Uruguay, « l’aïeul » Blaise Matuidi étant suspendu.

Au cas où la rencontre traînerait en longueur, Yannick Stopyra appréhende aussi une éventuelle séance de tirs au but. Au Mondial mexicain de 1986, l’avant-centre avait pourtant bien négocié celle contre le Brésil, en quarts de finale : « Lorsque Henri Michel [sélectionneur des Bleus] m’a demandé de tirer, je lui ai dit d’aller plutôt voir des anciens. Mais impossible pour certains d’entre eux, à cause des blessures, de la fatigue… » Philippe Bergeroo dédramatise : « Didier Deschamps titularise des jeunes, parce qu’il met les meilleurs joueurs possibles. A l’avenir, il y aura très certainement une très grande équipe de France. » Plutôt encourageant à moyen terme, dans la perspective de l’Euro 2020. Voire, qui sait, dès le vendredi 6 juillet 2018.