Des peines de huit à seize ans de prison ont été prononcées vendredi 6 juillet contre Houssame Hatri – en fuite –, Ladje Haidara et Abdou Salam Koita, poursuivis pour séquestration, extorsion, violences aggravées, association de malfaiteurs et viol pour l’un d’entre eux. Elle a également condamné leurs deux complices à des peines de cinq et six ans de prison. La cour d’assises du Val-de-Marne à Créteil a reconnu la circonstance aggravante d’antisémitisme dans le choix de leurs victimes lors de l’agression de Jonathan B. et Laurine C. Elle a déclaré Ladje Haidara coupable de viol.

L’avocate générale Christine Laï avait requis la veille des peines de huit à vingt ans, en qualifiant les agresseurs de « loups » qui évoluaient dans ce quartier, où habite une grande partie de la communauté juive de Créteil. Pour l’accusation, il ne faisait aucun doute que les agresseurs avaient choisi leurs victimes en raison de leur religion.

Le 1er décembre 2014 à midi, Jonathan et Laurine, âgés de 21 et 20 ans, étaient seuls dans l’appartement des parents de Jonathan quand on avait sonné à la porte. Jonathan était aux toilettes, Laurine avait ouvert. Trois hommes cagoulés et armés, qui avaient fait des repérages avant, sont entrés, les ont ligotés et séparés. L’un a placé un canon dans la bouche de Jonathan pour qu’il avoue « où est l’argent » en lui criant : « On sait que ton père est juif, il sort avec un rond sur la tête et il a une Mercedes noire ». Les propos antisémites avaient été tenus par un seul d’entre eux, Houssame Hatri – en fuite – et contre lequel la plus lourde peine a été prononcée. « C’est pour mes frères en Palestine », avait-il dit en jouant à faire tomber des couteaux sur Jonathan, ligoté au sol, face contre terre, avant de détruire tous les symboles juifs accrochés dans l’appartement.

« Ils ne sont pas antisémites, ils sont ignorants »

Ils avaient exigé que leurs victimes leur donnent leur numéro de carte bancaire – « si jamais c’est pas le bon, on vous bute », en ricanant de la terreur qu’ils leur inspiraient. « Ça te dirait que ta copine suce une bite de Black ? Parce que mon pote, il a grave faim. » Jonathan, la tête plaquée contre le sol dans le salon, avait entendu la voix de Laurine dans la chambre qui disait « non ». Resté seul avec elle, l’un des hommes avait soulevé son tee-shirt et l’avait pénétrée avec un doigt.

« Dire que “les juifs, ça a de l’argent”, c’est un préjugé, mais ce n’est pas pénal. Il faut le combattre en allant dans les écoles. Mais le préjugé racial, cette imbécillité humaine, devient un préjugé agissant quand on s’en sert pour cibler ses victimes », avait observé l’avocate générale. En écho, l’avocate de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) partie civile au procès, Dorothée Bisaccia-Bernstein, avait indiqué à l’adresse de la cour et des jurés : « On ne vous demande pas de dire que les accusés sont antisémites. La seule question qui vous est posée est : leurs victimes ont-elles été visées parce que juives ? »

« Ils ne sont pas antisémites, ils sont ignorants. Ils baignent dans une ignorance crasse », avait répondu Me Marie Dosé, en défense de l’un des agresseurs, en dénonçant « une qualification antisémite décidée au niveau ministériel » moins de quarante-huit heures après les faits, et la « médiatisation outrancière » qui s’était ensuivie.

« La France, c’est pas ça »

A la barre de la cour d’assises, Jonathan B. et Laurine C. avaient raconté cette agression d’une heure et demie qui a fait basculer leur vie. « Vous avez beau être solide, formé, ça explose tout autour, avait dit Jonathan. La vie sentimentale, la vie professionnelle. Vous ne vous sentez plus en sécurité, jamais. Après ça, j’ai perdu mon emploi. J’ai vu des psys, je fais toujours des cauchemars. C’est ça que je voudrais faire comprendre aux accusés. Ils agressent des gens qui ont le même âge qu’eux et ils ruinent leur vie. On a déménagé dans un lieu qu’on n’avait pas choisi, une résidence ultra sécurisée avec des caméras et des alarmes. » La jeune femme, toujours très fragile, avait demandé à être entendue à huis clos.

Depuis, le couple s’est séparé. « On ne savait pas trop comment se parler, en fait. Un mot faisait soudain tout revivre, avait confié Jonathan. Pour Laurine, je me dis que c’est de ma faute, c’est moi qui lui ai fait quitter sa ville de Normandie. » La jeune femme est retournée vivre dans sa région natale, où elle travaille comme femme de chambre. Jonathan est aujourd’hui chauffeur de VTC (véhicule de transport avec chauffeur).

Il avait dit encore :

« Des cambriolages, j’en ai fait des centaines en tant que gendarme, j’en avais jamais vu des comme ça. C’est là que j’ai compris que c’était pas un simple cambriolage. C’est encore plus dur de réaliser que vous avez été agressé parce que vous êtes juif. La France, c’est pas ça. »

Les accusés ont tous nié le caractère antisémite de leurs actes. Mais alors que l’un d’eux était interrogé sur les multiples incidents qui émaillent depuis quatre ans sa détention, il avait répondu : « La directrice de la prison est juive, elle me saque à cause de cette affaire. » « Comment le savez-vous ? » lui avait demandé l’avocate de la LICRA. « Je le reconnais à ses yeux », lui avait-il répondu.