• Serge Prokofiev
    Musique pour violon et piano
    Cinq mélodies. Sonates Nos 1 et 2. Aylen Pritchin (violon), Yury Favorin (piano)

Habituellement écrasant (rythmique martiale, énergie titanesque) et écrasé (perspectives esthétiques réduites par l’URSS de Staline), le langage de Serge Prokofiev est tout autre dans ce programme intimiste qui s’articule autour d’une Première Sonate pour violon et piano à la longue gestation (1938-1946). Grimaçante, dans la veine popularisée par Dimitri Chostakovitch, et insaisissable – entre expression immatérielle et martèlement soutenu –, elle est magnifiquement restituée par un duo intense, mais jamais excessif, qui sert avec la même habileté le propos ambigu (insouciance et classicisme de façade) de la Deuxième Sonate. C’est toutefois les Cinq mélodies composées par un Prokofiev à peine trentenaire (l’âge de ses interprètes d’aujourd’hui) qui impressionnent le plus. Le violon d’Aylen Pritchin est d’une exquise « vocalité » et il prend place dans l’écrin pianistique que lui offre Yury Favorin comme dans une salle à l’acoustique modulable. Pierre Gervasoni

1 CD Melodyia.

  • Leonard Bernstein
    A Quiet Place
    Avec Claudia Boyle, Joseph Kaiser, Gordon Bintner, Lucas Meachen, Daniel Belcher, Rupert Charlesworth, John Tessier, Annie Rosen, Maija Skille, Steven Humes, John Tessier, Chœur de l’Orchestre symphonique de Montréal, Orchestre symphonique de Montréal, Kent Nagano (direction)

Pochette de l’album « A Quiet Place », de Leonard Bernstein avec l’Orchestre symphonique de Montréal, dirigé par Kent Nagano. / DECCA CLASSICS/UNIVERSAL

L’année du centenaire de la naissance de Bernstein a du bon : le premier enregistrement mondial d’A Quiet Place, dernier opéra composé en 1983 (révisé en 1986), dans la version de chambre opérée post mortem par Garth Edwin Sunderland, fait une entrée remarquée dans la discographie. L’équipe qui entoure un Kent Nagano particulièrement inspiré – l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM), réduit à 18 instrumentistes contre les 92 initiaux, chœur et solistes –, sont de haut lignage. Le directeur musical de l’OSM séduit par une battue fine et sensible et rend justice à cet opus injustement méconnu, dont la musique inventive, d’une grande liberté de ton tant musical que dramatique, traite des profondes mutations de l’Amérique, une peinture sociale qui aborde le thème de l’homosexualité à travers un huis clos familial névrotique, mais qui, en cheminant par la vérité et le pardon, parviendra à prouver que l’amour est plus fort que la haine. Marie-Aude Roux

2 CD Decca Classics/Universal.

  • David Bowie
    Welcome to the Blackout (Live London’78)

Pochette de l’album « Welcome to the Blackout (Live London ’78) », de David Bowie. / PARLOPHONE/WARNER MUSIC

D’abord publié le 21 avril lors du Record Store Day, sous la forme d’un triple album 33 tours vinyle, en tirage limité, Welcome to the Blackout, enregistré lors de concerts de David Bowie à Earls Court (Londres), les 30 juin et 1er juillet 1978, sort maintenant en CD. A peu de chose près, le répertoire est identique à celui de l’album Stage, témoignage d’autres concerts de la tournée Isolar 2, cette fois aux Etats-Unis fin avril et début mai. Publié en 1978, Stage avait connu une réédition en 2005 avec deux titres supplémentaires. Ici Sound and Vision et Rebel Rebel viennent en plus. Bowie et ses musiciens (dont les guitaristes Carlos Alomar et Adrian Belew, le claviériste Roger Powell) évoluent, des recherches atmosphériques de Low à des extraits de Heroes, albums récents de 1977, au rappel de quelques succès de la période rock Ziggy Stardust, jusqu’à l’approche funk-soul qui a animé le chanteur depuis quelque temps. Sound and Vison, Fame, Soul Love, Station to Station ou Stay portant sur ce plan l’album, globalement plus nerveux que Stage, à son meilleur. Sylvain Siclier

2 CD Parlophone/Warner Music. www.davidbowie.com

  • Jim James
    Uniform Distortion

Pochette de l’album « Uniform Distortion », de Jim James. / ATO RECORDS/PIAS

Leader et guitariste déluré de My Morning Jacket depuis la fin des années 1990, le prolifique Jim James s’est aventuré en solo dans l’hommage acoustique (Tribute to) ou la soul éthérée (Eternally Even). Il célèbre aujourd’hui, dans Uniform Distortion, l’excitation électrique avec une force de conviction enthousiasmante. Alors que le rock semble en plein doute et marginalisé, le barbu du Kentucky fait bouillonner riffs et solos avec une ferveur puisée dans le lyrisme des années 1970 (Throwback), l’adrénaline punk (le très Ramones Better Late Than Never), le panache des branleurs du grunge (Out of Time) et les souvenirs vibrants de Springsteen, Neil Young ou Alex Chilton. Pour un mélange réjouissant de savoir-faire mélodique et de lâcher-prise, de finesse émotionnelle et de déflagrations. Stéphane Davet

1 CD ATO Records/Pias.

  • Protoje
    A Matter of Time

Pochette de l’album « A Matter of Time », de Protoje. / MR. BONGO/BACO RECORDS

La scène jamaïcaine retrouve parfois le goût de la mélodie et de la nonchalance, se démarque des scansions énervées (énervantes ?) du dancehall, qui se paye la part du lion dans la production venant de Kingston. Protoje est l’un des noms qui comptent dans cette tendance renvoyant aux grandes heures du reggae roots, faisant chalouper des textes réfléchis et militants (« conscients », dit-on dans le vocabulaire des amateurs de musique jamaïcaine). Des arrangements soignés, des surprises (après quelques mesures de violons mièvres, le titre Flames, ouvrant l’album, prend son envol et se déploie avec un lyrisme renversant), une saveur soul indiscutable, des invités de la jeune génération prometteuse (Chronixx, Mortimer), du goût, de la nuance. Une belle réussite faisant suite à Ancient Future, qui, en 2015 déjà, nous avait interpellé l’oreille. Patrick Labesse

1 CD Mr. Bongo/Baco Records.