Didier Deschamps étreint Antoine Griezmann après la victoire des Bleus contre l’Uruguay, à Nijni Novgorod (Russie), le 6 juillet. / NATACHA PISARENKO / AP

Le sourire béat de Didier Deschamps traduit bien la grâce de l’instant. En lévitation, le sélectionneur des Bleus étreint, un par un, ses joueurs sur la pelouse du stade de Nijni Novgorod (Russie), semblable à une arène romaine avec ses imposants piliers et ses arcades circulaires. Sur les rives de la Volga, l’équipe de France vient de dompter (2-0) l’Uruguay, vendredi 6 juillet, en quarts de finale de la Coupe du monde. Extatique, Deschamps n’est pas encore redescendu de son nuage : ses protégés ont livré l’une des prestations les plus abouties sous son règne, entamé en 2012.

Aux antipodes du succès (4-3) acquis dans les larmes et la sueur contre l’Argentine de Lionel Messi, au tour précédent, la victoire contre la Celeste de Luis Suarez a mis en évidence la maîtrise des Bleus, sereins et appliqués à Nijni Novgorod.

Cette fois, il n’y eut ni stress, ni fluctuations émotionnelles. Bien organisés, les Tricolores atteignent, en Russie, le dernier carré du tournoi pour la sixième fois de leur histoire, après les épopées de Raymond Kopa et Just Fontaine en 1958 (Suède), de la bande à Michel Platini en 1982 (Espagne) et 1986 (Mexique), et de Zinédine Zidane et consorts, sacrés en 1998 (France) et finalistes malheureux (Allemagne) en 2006.

Griezmann : « On garde les pieds sur terre »

Deux ans après leur échec contre le Portugal, qui les avait privés d’un titre à domicile à l’Euro 2016, voici les Bleus définitivement de retour dans le cénacle des grandes nations du football. Mardi 10 juillet, à Saint-Pétersbourg, ils tenteront de s’ouvrir les portes d’une troisième finale mondiale contre l’ébouriffante Belgique de ce « Diable rouge » d’Eden Hazard, victorieuse (2-1) du Brésil de Neymar.

« On garde les pieds sur terre », a promis l’attaquant Antoine Griezmann, auteur du deuxième but français et bien aidé, sur ce coup-ci, par la bourde du gardien uruguayen Fernando Muslera. « On a le potentiel d’être en demi-finales. La suite, on verra ? On a encore une belle marge de progression », a tempéré Deschamps.

En renversant la Celeste, double championne du monde (en 1930 et en 1950) et invaincue jusqu’ici dans le tournoi, le sélectionneur des Bleus a rempli son contrat : le président de la Fédération française de football (FFF), Noël Le Graët, lui avait fixé comme objectif minimal d’atteindre le dernier carré du tournoi.

« Comme tout le monde, j’aime bien atteindre mes objectifs. Je ne vais pas me plaindre, a confié le Bayonnais, ainsi assuré de poursuivre sa mission, au moins, jusqu’au terme de son contrat, fixé à l’Euro 2020. Je suis content aussi pour mon président [M. Le Graët], qui me soutient. »

« Montée en puissance »

Difficile de donner tort au sélectionneur quand il pointe la « montée en puissance » – à la fois physique et tactique – de ses protégés depuis leur « coup d’éclat » contre l’Argentine. « On a eu un premier tour compliqué mais on ne s’est pas cassé les dents contrairement à d’autres grandes nations [comme l’Allemagne, tenante du titre et éliminée dès le premier tour], a-t-il déclaré, aux anges. Mais on a été réalistes et efficaces. LUruguay ne nous a pas mis en difficulté dans le jeu. On a une équipe jeune mais on a bien su gérer. »

Loin de trembler, les jeunes latéraux (22 ans) Lucas Hernandez et Benjamin Pavard ont tenu la baraque et avalé les kilomètres sans mollir. Quant au prodige (19 ans) Kylian Mbappé, véritable poison pour la rugueuse arrière-garde de la Celeste, il a reproduit à Nijni Novgorod les prouesses techniques réalisées, six jours plus tôt à Kazan, contre l’Argentine. Et à l’image d’Antoine Griezmann et du milieu Paul Pogba, si précieux dans l’animation offensive, les cadres n’ont pas flanché.

Ironie de l’histoire, c’est le défenseur central Raphaël Varane, 25 ans, qui a ouvert le score d’une magnifique tête décroisée. A la réception d’un coup franc tiré par Griezmann, l’arrière du Real Madrid faisait ainsi oublier son erreur de marquage sur l’Allemand Mats Hummels, unique buteur du quart de finale perdu (0-1) par les Bleus de Deschamps, quatre ans plus tôt, au mythique Maracana de Rio, lors du Mondial brésilien de 2014. Le fautif avait alors incarné les lacunes d’une équipe de France trop « verte » et logiquement dominée par la très chevronnée Nationalmannschaft.

Froid réalisme

« Mes joueurs ont grandi. Raphaël a quatre ans de maturité en plus, a insisté Deschamps. J’avais souffert avec lui, en 2014. Là, c’est l’effet inverse. Le foot est comme ça. C’est bien que Raphaël ait pu être le déclencheur aujourd’hui. » Impressionnante dans les airs, très concentrée, la charnière centrale composée de Varane et de Samuel Umtiti a parfaitement muselé le buteur uruguayen Luis Suarez, orphelin de son compère Edinson Cavani, blessé au mollet et dont l’absence s’est fait cruellement sentir.

Au fil des minutes, un sentiment d’impuissance a gagné inexorablement les rangs de la Celeste, incapable de s’extraire de la nasse. Sélectionneur de l’Uruguay depuis 2006, le vénérable Oscar Tabarez, 71 ans, l’a d’ailleurs amèrement reconnu : « La France a bien contrôlé le match et mieux joué que nous. Elle était plus forte. On a tenté de résoudre le problème. Mais on n’a pas su trouver la solution. »

Solides et combatifs, les Bleus ont par ailleurs bluffé les observateurs par leurs attaques placées et leur froid réalisme. Ils ont fait mouche sur leurs deux seules tentatives cadrées de la rencontre. « On peut faire mal à n’importe qui. Il ne fallait pas tomber dans leur jeu, rester calme, être positif et amener le jeu là où on voulait », a estimé Griezmann. Lequel, pétri de culture uruguayenne, n’a pas célébré son but gaguesque « par respect » pour ses adversaires et « amis » Diego Godin et José Maria Gimenez, ses deux partenaires de l’Atlético Madrid.

« Tout le monde est disponible pour la demie »

Ravi de ne voir aucun de ses joueurs suspendus ou blessés pour la demi-finale face à la Belgique, Deschamps a salué le calme dont ont fait preuve ses protégés.

Et ce malgré les provocations et les coups bas de la Celeste, encline à faire monter la tension. « Il y a eu des étincelles, des points chauds mais on a bien géré et tout le monde est disponible pour la demie », a jubilé le sélectionneur qui pourra aligner son milieu Blaise Matudi, de retour de suspension, contre les Diables rouges.

Sous les applaudissements des journalistes étrangers, Deschamps a donné rendez-vous « mardi » aux suiveurs des Tricolores. Qu’importe la suite. Les Bleus et leur patron ont déjà réussi leur Coupe du monde.