Didier Deschamps avec ses joueurs, le 6 juillet 2018 / Hassan Ammar / AP

Chronique. Le réalisateur ne s’y trompe pas. Au coup de sifflet final, la caméra s’attarde longuement sur Didier Deschamps, qui traverse la pelouse. L’entraîneur des Bleus enlace un par un ses protégés, démonstratif comme rarement. Il a un mot à chuchoter à l’oreille de chacun. Comme après l’Argentine, il affiche une grande et tactile complicité avec ses joueurs. « J’ai une jeune équipe qui manque d’expérience mais elle est tellement généreuse », soupire-t-il, l’œil humide. « C’est beaucoup de joie et de fierté, on avait fait quelque chose de grand contre l’Argentine, là on a encore haussé notre niveau », poursuit-il au micro de Frédéric Calenge, le journaliste terrain de TF1, presque aussi ému que lui. « C’est vrai, un grand bravo à Didier Deschamps ! », enfonce Grégoire Margotton depuis son poste de commentateur.

La « Desch » fait le plein. Ce soir on dessert le Deschamps d’honneur. Le sélectionneur est unanimement salué par la critique. « Deschamps, ce grand maître », titre carrément CNews. « Deschamps au top », résume L’Equipe 21. « Deschamps a gagné », souligne BFM-TV. L’entraîneur tricolore vient de donner une leçon tactique au très expérimenté Oscar Tabarez, 71 ans, coach de la Celeste, au terme d’un match fermé, cadenassé mais maîtrisé par les Bleus.

Une victoire sans trembler, nette, précise, à l’image de ces deux buts inscrits sur les deux seules frappes cadrées de la rencontre. La France est libérée, les télévisions guettent les scènes de liesse sur les Champs-Elysées. « Vingt ans après, les Bleus peuvent-ils le faire ? », s’enflamme-t-on sur CNews. Après l’emballante mais stressante victoire face à l’Argentine, place à la démonstration de force. « Après l’Argentine, on était sur un nuage, là on a remis les pendules à l’heure », souligne Deschamps, heureux et un poil revanchard.

Première interview dans « Pif Gadget »

Deschamps est donc à l’heure. Celle du dernier carré. Après un premier tour poussif, ils étaient nombreux à craindre que le rencard tourne au lapin. Mais pas lui. « Au premier tour, on a été efficaces sans être flamboyants », formule-t-il dans une langue de bois là aussi parfaitement maîtrisée. Même dans l’euphorie ambiante, l’homme tient sa parole. C’est son truc. « La com’n’est pas un fardeau mais un jeu », aime à répéter celui qui a donné sa première interview à 15 ans, alors jeune stagiaire au FC Nantes, à… Pif Gadget. Alors il joue. S’amuse. Comme après le match purge contre le Danemark, où il s’étonne, tout en regrettant, que l’entraîneur adverse ait connu la composition et le système tactique de son équipe. Un coup des médias trop pressés de dévoiler la compo.

Mais là, tout est oublié. Des deux côtés. Quoique. « On ne savait pas où il allait, lui sans doute pas trop non plus, mais il a su s’adapter à l’adversaire avec pragmatisme et talent », complimente à sa façon le journaliste François Pinet sur BFM-TV. « Il s’est aussi posé des questions, comme nous, et a trouvé des réponses, analyse le consultant Johan Micoud (L’Equipe 21), et ce n’est pas parce qu’on est en demi-finales qu’on ne peut plus rien dire. » Une chaîne où on est d’humeur taquine.

Ainsi, le deuxième but contre l’Uruguay (la bourde du gardien de but) est accompagné d’un miaulement de chat. Référence à la fameuse « chatte à Dédé », traduction pas très classieuse de l’incroyable baraka qui accompagnerait Deschamps. Mythe ou réalité copieusement alimentés, commentés et moqués sur les réseaux sociaux. « Il a eu la chance d’avoir une poule abordable pour peaufiner sa préparation », avance plus poliment Paul Le Guen, consultant de L’Equipe 21.

« Il y a quelque chose d’Aimé Jacquet »

Chance ou pas, « Deschamps et l’équipe de France auront réussi leur Mondial », ajoute Paul Le Guen. Le dernier carré est atteint. « Comme tout le monde, j’aime bien atteindre mes objectifs », souligne subtilement Deschamps, prolongé à ce poste avant la compétition, mais aussi avant le départ surprise du Real Madrid du héros national Zinédine Zidane, sélectionneur en puissance. Il vient de s’offrir un peu de répit. « On l’attendait au coin du bois et il est en train de démontrer que c’est un maestro », s’enthousiasme Pascal Dupraz sur TF1.

« Dans son cheminement, il y a quelque chose d’Aimé Jacquet », ose même Nathalie Iannetta. « Il est dans la lignée d’Aimé Jacquet et s’appuie sur les mêmes vertus défensives », dit encore Paul Le Guen. L’ex-capitaine des Bleus de 1998 appréciera, lui qui a été plutôt épargné, à la différence de son glorieux prédécesseur. « Deschamps est protégé par les médias. Protégé par le journal L’Equipe, qui a une influence importante. Protégé par TF1, qui retransmet les matchs et qui donne une vision très optimiste. Il y a une forme d’empathie avec l’équipe de France, et c’est normal », croit savoir Pascal Praud (CNews).

Deux ans après la finale perdue lors de l’Euro en France, Deschamps semble s’offrir une deuxième jeunesse. « Cette jeune équipe lui ressemble », dit Johan Micoud (L’Equipe 21). Il a réussi son pari, à l’image de ses deux jeunes latéraux, Lucas Hernandez et Benjamin Pavard, invités surprises d’une liste des 23 amplement commentée (tout comme l’éviction d’un autre jeune, Adrien Rabiot). Il peut savourer. Il a incontestablement imposé sa griffe, et elle ne doit bien évidemment pas tout à la chance.