Eric Boullier était à Silverstone, où se court le Grand Prix d’Angleterre, le 4 juillet 2016. / MATTHEWS CHILDS / REUTERS

Directeur de la compétition de McLaren depuis 2014, le Français Eric Boullier a démissionné, mardi 3 juillet, de l’écurie britannique de Formule 1. L’annonce est tombée comme un couperet, alors que le pilote vedette Fernando Alonso pointe à la 8e place du classement des pilotes, et le constructeur 5e. Cette démission, acceptée par le PDG Zak Brown, met fin à quatre années de frustration accumulée depuis l’arrivée du motoriste Honda en 2015. Un sentiment généralisé, que le changement pour Renault cette saison n’a pas enrayé.

Cette frustration trouve son origine dans l’exigence de McLaren depuis sa création, en 1966, et dans son palmarès. Les plus grands pilotes lui ont offert 12 titres mondiaux : Emerson Fittipaldi (1974), James Hunt (1976), Niki Lauda (1984), Alain Prost (1985, 1986, 1989), Ayrton Senna (1990, 1988, 1991), Mika Häkkinen (1998, 1999) et Lewis Hamilton (2008) ; pour 8 titres constructeurs, avec des moteurs Ford (1974), Posche (1984, 1985), Honda (1988-1991) et Mercedes (1998).

Mais par la suite, entre 1999 et 2014, McLaren ne gagne « que » 66 courses, ce qui constituerait un résultat honorable pour la moitié du plateau actuel. Mais pas pour Ron Dennis, figure emblématique de l’équipe qu’il a dirigée de 1980 à 2016.

Pour la conquérir, Ron Dennis fait appel en 2014 à Eric Boullier, alors en poste chez Lotus, et rappelle le motoriste des grandes heures, Honda. « Je suis convaincu que nous gagnerons des courses l’année prochaine », annonce Yasuhisa Arai, patron de Honda F1. Les espérances sont à la hauteur des déceptions à venir : 9e au championnat constructeur (sur 10) en 2015, 6e en 2016, 9e en 2017…

« Moteur de GP2 ! De GP2 ! »

Le motoriste nippon ne parvient pas à concevoir un engin propulseur performant. Aux volants, les pilotes se sentent impuissants. Et le font savoir. « Je n’aime pas terminer 14e, je n’aime pas finir 10e », explique Jenson Button, en marge du Grand Prix du Japon fin septembre 2015. Trois jours plus tard, toujours sur les terres du motoriste, Fernando Alonso, « craque » alors qu’il est facilement doublé par la Toro Rosso de Max Verstappen : « Moteur de GP2 ! De GP2 ! » Il n’y aura pas de trêve pour les ingénieurs nippons.

La saison 2016 débute sous de meilleurs auspices. Le 12 juillet, à Silverstone, Eric Boulier demande du temps : « Ça va bien. Chez McLaren, nous voulons à nouveau gagner des courses, le titre, avec Fernando bien sûr (…). Je ne suis pas satisfait d’être 10e ou 11e, ou même 2e ou 3e. Si vous comparez Mercedes, Renault ou Ferrari, il leur a fallu trois ans pour améliorer leurs moteurs. » Honda a eu moins de temps. Fernando Alonso termine 10e, Carlos Sainz Jr 12e. Un bilan certes en progrès mais qui ne contente pas les actionnaires, qui obtiennent la tête du président du groupe McLaren Technology Group, Ron Dennis.

Chez McLaren, Fernando Alonso, qui s’est classé 17e en 2015, 10e en 2016 et 15e en 2017, pointe 8e à la veille du Grand Prix à Silverstone (Royaume-Uni). / JEROME MIRON / USA TODAY SPORTS

McLaren espère ainsi, en 2017, poursuivre sur la lancée. Mais en dépit des améliorations apportées sur le V6, les monoplaces rendent en moyenne 20 km/h à leurs concurrentes en ligne droite, et manquent de fiabilité. A bout de patience, McLaren rompt avec Honda, remplacé par Renault. Entre temps, Fernando Alonso s’est trouvé une motivation supplémentaire : décrocher la triple couronne.

Les actionnaires s’ébrouent

Ainsi ragaillardie, McClaren pense une fois encore renouer, en 2018, avec son palmarès prestigieux. Le double champion espagnol y croit après sa 5e place au Grand Prix inaugural d’Australie. « Nous aurons, je l’espère, quelques podiums et pourrons être régulièrement 5e ou 6e, déclare-t-il. C’est la première fois en trois ans que nous sommes dans cette position. »

Toutefois en coulisse, les actionnaires s’ébrouent. Fin mai, Michael Latifi entre au capital à hauteur de 10 %, pour quelque 233 millions d’euros. L’homme d’affaires canadien devient le troisième plus important actionnaire du groupe McLaren, derrière Bahrain Mumtalakat Holding Company (56 %) et TAG Group (14 %). Une arrivée qui va de paire avec une refonte des instances dirigeantes. McLaren engage fin mai l’ex-pilote Gil De Ferran devenu directeur sportif chez BAR-Honda de 2005 à 2007, comme consultant.

« Le moment est venu de m’en aller »

L’étau se resserre autour d’Eric Boullier. « Il avait les actionnaires sur le dos depuis plusieurs semaines », assure un membre de son entourage. Mardi 3 juillet au soir, il présente sa démission à Zak Brown qui l’accepte. « Je suis très fier d’avoir travaillé avec une équipe aussi brillante pendant les quatre dernières années, réagit le désormais ex-directeur sportif de 44 ans. Mais je reconnais que le moment est venu de m’en aller. »

« Ces changements sont le début d’un programme complet de restructuration au sein de la direction technique de McLaren », justifie dans son communiqué l’écurie de Woking, qui s’engage à « investir pour (…) ramener McLaren Racing aux premières places sur la grille. »

Zak Brown assume. « Les performances de la MCL33 en 2018 ne sont pas à la hauteur des attentes de McLaren. (…) Les causes sont systémiques et structurelles, ce qui requiert un changement majeur. Avec l’annonce faite aujourd’hui, nous commençons à corriger ces problèmes et c’est la première étape sur la route de notre guérison. »

Dans un premier temps, Simon Roberts, directeur de l’exploitation de McLaren Racing, supervisera la production, l’ingénierie et la logistique et Andrea Stella la performance, et les opérations en piste. Gil De Ferran est, lui, promu directeur sportif. Au passage, Zak Brown « en profite pour remercier Eric pour ses services et sa contribution chez McLaren et pour lui souhaiter le meilleur à l’avenir. »

Le PDG semble plus intéressé par l’avenir de Fernando Alonso, qu’il souhaite en Formule 1, même s’il comprend qu’après sa victoire pour la postérité aux 24 Heures du Mans le 17 juin, il rêve d’ailleurs. « Je peux faire tout ça grâce à Zak Brown et à McLaren », soulignait l’Espagnol en janvier. « La Formule 1 a besoin de pilotes comme Alonso », a insisté Zac Brown. Les deux hommes devraient pouvoir trouver un terrain d’entente.