« Cherchons une sombre solitude où nous puissions vider de larmes nos tristes cœurs. » Macbeth, William Shakespeare. / PHILIPPE LOPEZ / AFP

Cela vaut-il le coup, franchement ? Gagner le Tour de France et les millions qui vont avec peut-il rendre acceptable de vivre entouré par la suspicion permanente, l’hostilité voire la violence occasionnelle, et cette impression que de toute façon, c’est foutu, il n’y a rien à faire, vous aurez beau n’échouer à aucun contrôle antidopage, vous montrer souriant et courtois, et clamer votre amour de la France, celle-ci ne vous le rendra jamais ?

Peut-on encore être content de monter sur un vélo dans ces conditions ? On se demande bien ce qui peut se passer sous le crâne de Chris Froome lorsque s’abattent sur lui les quolibets d’une foule qui continue de penser que le Britannique, bien qu’il ait été blanchi lundi par l’UCI après un contrôle anormal pas loin de compromettre sa participation au Tour, ment comme il respire sa Ventoline dans les cols.

Le public l’a violemment sifflé, jeudi, lors de la présentation des équipes à la Roche-sur-Yon. Froome a su rester d’une placidité qui force l’admiration. Mais en le voyant quitter fissa la place Napoléon, on aurait juré que, s’il ne s’était pas retenu, ce n’est pas dans les quelques mains d’enfants qui se tendaient sur son passage qu’il aurait tapé, mais dans la gueule des adultes qui l’inondaient sous les huées.

Dans la tourmente depuis neuf mois, Froome vient de vivre « le pire des cauchemars ». Lui qui a remporté les trois derniers Grands Tours, dont le Giro, il y un mois et demi, après un renversement de situation stupéfiant, se réveille ce matin face au « plus grand défi de [sa] vie » : réussir le premier doublé Tour d’Italie / Tour de France depuis feu Marco Pantani en l’an de grâce 1998. Au passage, dans l’euphorie du 20e anniversaire de l’affaire Festina, on oublierait presque de fêter les 10 ans du feu d’artifices antidopage de 2008 fatal à plusieurs gros poissons (dont Riccardo Ricco), les 30 ans de la victoire miraculeuse de Pedro Delgado en 1988, contrôlé positif en plein Tour à un produit interdit par le CIO mais pas encore par l’UCI, ou encore les 40 ans de la poire de Michel Pollentier en 1978. Il y a un truc avec les années en 8.

Si « l’affaire Froome » de 2018, désormais close, est incomparable avec ces purs morceaux d’Histoire de la Grande Boucle, son retentissement a largement parasité l’avant-course. Les premiers coups de pédale permettront sans doute de parler un peu moins de salbutamol et un peu plus de vélo, mais on peut être sûr que le petit arrière-goût âcre caractéristique de la saveur des années Froome ressurgira au premier haut fait du Britannique de 33 ans, sur le point de rattraper Anquetil, Merckx, Hinault et Indurain avec un cinquième victoire dans le Tour qui le placerait à deux longueurs de Lance Armstrong.

Attention aux pavés et à Bardet

Dans sa quête du quintuplé, outre l’hostilité annoncée des bords de route et la fatigue d’un Giro dans les pattes, le leader de l’équipe Sky devra faire face à un Romain Bardet mieux armé et entouré que jamais ; un bataillon de rivaux prêts au putsch (Dumoulin, Nibali, Uran, Porte, Quintana) ; la double ascension de Mûr-de-Bretagne lors de la 6e étape ; les 15 secteurs pavés de la 9e étape vers Roubaix ; une seconde moitié de course ultra-montagneuse ultra-éprouvante ; l’absence d’un long contre-la-montre plat à son avantage ; le passage des équipes à huit coureurs au lieu de neuf, dont les organisateurs espèrent qu’il atténuera la mainmise des Sky sur la course.

Chris Froome devra faire face à tout ça, mais pas au passage du Gois, qui devait être la porte d’entrée dans les 3 351 kilomètres du Tour 2018, comme en 2011. En raison d’un tournoi international de football en Russie qui risquait de lui faire de d’ombre, il a fallu décaler d’une semaine le départ de la 105e édition. Résultat : les horaires des marées ne permettent plus d’emprunter cette route qui ne se découvre que quand la mer se retire. Voilà qui nous prive de bien belles images, en l’occurrence celles de cyclistes plantés dans le sable, comme ce fut le cas en 1999. Dommage.

Avant de longer la venteuse côte vendéene, puis de bifurquer vers Fontenay-le-Comte où un sprinteur enfilera le premier maillot jaune de l’été, le peloton se contentera bêtement du pont construit en 1971 pour quitter Noirmoutier, que le Tour honore donc de son passage pour la troisième fois. Nouveau moment de gloire pour cette île déjà mise en lumière par Claude Sautet en 1972 dans César et Rosalie, que vous feriez bien de voir, ou encore par Pascal Praud en 2016 dans ses chroniques de vacances, que vous n’êtes pas obligé de lire.

Sur ce, Chris Froome vous souhaite un bon Tour de France.

Les mollets de Tomasz Marczyński aussi.

PS « TOUR DU COMPTOIR ». Comme l’an passé, vous recevrez ici chaque matin une carte postale envoyée depuis le comptoir d’un établissement de la ville-départ de la veille. Rendez-vous demain dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne vendéenne.