« To Your Eternity », un manga de Yoshitoki Oima. / YOSHITOKI OIMA/KODANSHA

En 2015, les lecteurs français de manga acclament Yoshitoki Oima, jeune auteure de moins de 30 ans qui signait un manga pour adolescents poignant et original, abordant le thème du harcèlement et du handicap. A Silent Voice, dont l’adaptation en film animé débarque dans les salles de cinéma en août prochain (deux ans après le Japon), raconte comment Shoya, un ancien harceleur, reprend contact une fois lycéen pour s’excuser auprès de sa victime, Shoko, une ancienne camarade de classe de primaire sourde et muette.

Deux ans plus tard, la mangaka surprend de nouveau avec la publication d’une nouvelle série dramatique difficilement descriptible, et construite comme une quête d’identité. To Your Eternity commence avec l’arrivée sur Terre d’un être immortel et immatériel. Une force pure qui va prendre, au fil de son expérience et de son apprentissage, la forme d’animaux puis d’êtres humains qu’il pourra croiser. Pour sa première visite en France, Yoshitoki Oima est allée à la rencontre de ses lecteurs à Japan Expo, qui se tient au Parc des expositions de Villepinte jusqu’à dimanche 8 juillet. L’auteure se laisse difficilement percer à jour et semble aussi mystérieuse que sa série.

Rares sont les mangas qui parlent de handicap. D’où vous est venue l’idée de « A Silent Voice » ?

Il y a une personne malentendante dans mon entourage, j’ai été touchée directement par ce sujet. A l’époque où j’ai imaginé A Silent Voice, je n’étais pas encore mangaka installée à Tokyo. Je me suis dit que si je voulais avancer un peu plus vite dans ma carrière, il serait plus judicieux de parler de choses qui m’étaient proches.

Comment avez-vous travaillé pour aborder de façon la plus réaliste possible la situation de Shoko, l’héroïne ce manga ?

Il se trouve que ma mère est interprète en langue des signes, ce qui m’a permis d’être au plus proche de ce langage. Pour le reste, les détails techniques, ils sont le fruit de recherches sur Internet.

La série, très acclamée en France, revient sur le devant de la scène avec la sortie du film en août prochain. Celui-ci vous a t-il donné envie d’enrichir votre histoire avec de nouveaux chapitres ou, de votre côté, « A Silent Voice » est bel et bien terminé ?

L’histoire n’a pas de suite. Je ne pense pas que je me pencherai sur d’autres chapitres. Je pourrais bien entendu le faire, mais je ne pense pas que je puisse apporter quelque chose d’intéressant. Il est mieux de préserver l’œuvre.

C’est grâce à cette série que vous avez été reconnue internationalement. Aviez-vous peur que l’on vous cantonne à ce style de manga plutôt social ?

Je n’ai parlé du thème de la surdité que parce qu’il s’agissait d’une situation que je connaissais. Je ne me sentirais pas en mesure d’écrire sur d’autres handicaps par exemple, donc la question ne s’est même pas posée.

Votre série suivante, « To Your Eternity », change radicalement et rassemble différents styles de dessins et d’influences. D’où est parti le concept ?

J’ai moi-même du mal à décrire cette série, mais je peux vous dire que j’ai l’impression de raconter ma propre histoire. A Silent Voice avait un motif fort, et je souhaiterais que les lecteurs abordent To Your Eternity avec plus de légèreté, même si c’est une histoire qui nécessite de réfléchir beaucoup et que je ne pense pas encore avoir fourni tous les éléments de compréhension de l’histoire aux lecteurs.

Il semble aussi que vous abordiez en majorité des thématiques difficiles, sombres. Est-ce une démarche volontaire ? Vous décririez-vous comme quelqu’un de triste ?

Dans les trois séries que j’ai écrites [Mardock Scramble, sa première série adaptée de romans a été publiée en 2009 au Japon], il y a un thème commun : comment arriver à se satisfaire de la vie qu’on a, comment on y survit. Chaque série à mon sens fonctionne de la même manière et me permet de rester cohérente.

Après, il est certain que mes histoires sont le reflet d’une partie de ma personnalité. Sinon, cela ne serait pas plaisant à faire.

Vous n’avez aucune difficulté à vous séparer de personnages, à les faire mourir quand d’autres mangakas renoncent à le faire. C’est absolument nécessaire ?

Les personnes que je côtoie dans ma vie personnelle vont mourir pour des raisons indépendantes de mon fait. Cela me paraît normal de répercuter ça dans mon travail, je n’ai pas envie d’épargner ou de prendre soin coûte que coûte de mes personnages, surtout si cela ne sert pas l’histoire. Ce que l’on peut faire en une vie est limité et je n’aime pas l’idée que je peux mourir sans avoir fait tout ce que je souhaitais. Je veux confronter mes personnages à cette idée.