Shinichiro Watanabe au parc des expositions de Villepinte. Le réalisateur de « Cowboy Bebop » est venu fêter les vingt ans de cette série lors de la Japan Expo, le 7 juillet 2018. / Pierre Trouvé / Le Monde

A l’image de ses héros Spike ou Mugen, Shinichiro Watanabe a la gâchette verbale facile et un air parfois blasé. Mais il suffit de lui parler de musique ou de cinéma pour voir le regard du réalisateur japonais pétiller. Habitué des conventions de pop culture en France, sa venue à la Japan Expo qui se tient jusqu’au dimanche 8 juillet au parc des expositions de Villepinte revêtait, cette fois, un caractère particulier.

En compagnie de toute son équipe, le cinéaste est venu célébrer les vingt ans de Cowboy Bebop, sa première grande série, un western-space opera, mâtiné de jazz et de blues, devenu l’une des œuvres de référence de l’animation des années 1990. Un anime qui va consacrer aussi le style Watanabe : prendre des univers classiques de l’animation pour les retordre à la lumière d’un autre genre. Il revisite ainsi les aventures de chasseurs de primes avec des vaisseaux spatiaux dans Cowboy Bebop, le crépuscule de l’époque des samouraïs avec la culture hip-hop dans Samurai Champloo, ou encore se fait épauler par la compositrice Yoko Kanno pour donner de l’envergure et une bande-son jazz à l’adaptation du manga romantique Kids on Slope. Rencontre.


« Cowboy Bebop » a vingt ans cette année. Quel a été le chemin que vous avez parcouru depuis cette série ? Que vous a permis son succès ?

Ce n’est pas quelque chose qui se limite à moi, mais quand on réalise une œuvre qui marche, on nous demande souvent par la suite de reproduire la même chose. J’ai eu beaucoup de propositions de Cowboy Bebop 2, et j’ai fait beaucoup d’efforts pour les refuser. A force de faire toujours le même genre d’œuvres, le travail créatif peut s’avérer par la suite de moins en moins intéressant. D’où l’idée de toujours tenter quelque chose de différent. En gardant ce principe, je pense pouvoir faire en sorte que mes œuvres restent fraîches. Mais j’admets que le succès de Cowboy Bebop m’a facilité les choses. Par exemple, pour ma série suivante, Samurai Champloo, j’ai eu carte blanche. C’était très agréable.

Plusieurs de vos œuvres sont des combinaisons, des mélanges de styles, de registres. Est-ce une façon pour vous de bousculer l’ordre établi, les codes de l’animation ?

Il y a un peu de ça. C’est-à-dire que faire un dessin animé où il y a seulement de l’action, de la SF ou du chanbara [genre tournant autour de combats à l’épée], ce n’est pas forcément très intéressant. Dans Cowboy Bebop, nous avons eu recours à de la musique blues sur de la SF ; cela n’avait jamais été utilisé, et cela lui a donné une ambiance particulièrement originale. Si on avait mis de la musique de John Williams sur Cowboy Bebop, je pense que l’œuvre aurait été très banale.

On retient le western ou l’espace dans « Cowboy Bebop », le chanbara pour « Samurai Champloo », mais il semblerait que le polar traverse votre travail…

Ce genre d’effet stylistique n’est pas vraiment conscient. Hayao Miyazaki ne se dit pas « je vais faire un film Miyazaki », le style sort tout seul. Pour mon travail, l’influence du cinéma ne peut pas être niée. Il y a aussi celle de beaucoup de romans comme ceux de Raymond Chandler, ou les polars japonais.

Polar, espace, thriller, samouraïs, rien n’a l’air de vous résister. Y a-t-il un univers ou un style auquel vous ne voulez pas vous frotter et pourquoi ?

Il existe encore beaucoup de genres auxquels je ne me suis pas attaqué et, franchement, j’espère pouvoir tous les faire avant de mourir.

Vous avez réalisé l’année dernière un court-métrage d’animation pour faire la jonction entre les deux films « Blade Runner ». Est-ce que ça n’a pas été trop compliqué ou frustrant de travailler sur un univers calibré à l’avance ?

Je suis un très grand fan du film original Blade Runner, c’est une œuvre qui m’a énormément influencé et j’ai pu rentrer facilement dans cet univers. Au contraire, j’ai fait très attention à maintenir l’univers Blade Runner, tout en réussissant à insérer mon style. Denis Villeneuve [réalisateur de Blade Runner 2049] ne m’a pas vraiment passé de consigne. De toute façon, à la base Ridley Scott lui avait dit : « fais ce que tu veux. »

La musique occupe une place prépondérante dans vos œuvres et vous êtes un grand fan de jazz. Est-ce qu’un bon anime doit absolument avoir une bande-son ?

Tout à fait. L’image peut être excellente, mais si la musique n’est pas bonne, ce sera très dur à regarder. Je ne suis pas fixé sur un style mais, par contre, quand c’est cheap, ça rabaisse énormément le rendu final. Donc peut importe le style pourvu que ce soit de très bonne qualité. Je suis d’ailleurs régulièrement producteur de bandes-son d’animes, pas seulement sur mes œuvres, parce que j’aimerais vraiment que la production de musiques d’anime s’améliore.

Quelle partition ou artiste aimeriez-vous mettre en images ?

Quand j’étais enfant, j’ai été très marqué par le groupe japonais Yellow Magic Orchestra [groupe célèbre des années 1980 fondé par Ryuichi Sakamoto], et je rêverais de pouvoir collaborer avec eux, d’avoir leur musique dans un de mes projets. Si vous les rencontrez, faites leur passer le message.

Dans « Terror in Resonance », diffusée en 2014, vous semblez très critique envers le pouvoir et l’Etat. C’est aussi le cas dans « Samurai Champloo », dans lequel les gouvernants sont corrompus. Vous méfiez-vous de la politique et de l’ordre établi ?

Je n’aime pas vraiment tout ce qui est autorité ou état policier, ni tout ce qui entrave la liberté individuelle, cela ressort donc naturellement. Je pense que sur ce point, avec leur histoire, les Français peuvent comprendre mon point de vue.

« Terror in Resonance » aborde la question du terrorisme, avec une empathie pour les deux adolescents poseurs de bombes. N’est-il pas trop délicat d’aborder ce sujet à notre époque ?

C’était un sujet très délicat et il a été difficile de trouver un diffuseur. Cela a pris cinq ans entre la naissance du projet et le début de la production. On me dit souvent que le thème central est le terrorisme, mais je vous invite à regarder la série une nouvelle fois. La série se déroule dans ce cadre, mais il s’agit d’autre chose. Ce n’est pas vraiment une œuvre pour soutenir le terrorisme, mais sur l’idée que les gens dont l’existence est effacée par l’Etat peuvent s’exprimer. L’idée n’est pas de dire aux spectateurs « soyons tous terroristes ».

Sur les problèmes sociaux qui sont évoqués dans Terror in Resonance, les jeunes sont de nos jours complètement indifférents à ce genre de sujet, et c’est une très mauvaise chose. Avec cette série, je souhaitais qu’ils prennent conscience des différents problèmes évoqués, mais je n’avais aucunement l’intention d’imposer une idée.

Une grande partie de vos personnages sont des hors-la-loi au grand cœur. Le bien ne vient pas forcément du pouvoir établi, mais des gens qui s’en affranchissent. C’est un message qui vous tient à cœur ?

Pas vraiment, je dirais que c’est plutôt moi qui me projette. il y a un côté très hors la loi chez les animateurs au Japon…

Vous êtes un cow-boy de l’animation, quelque part ?

C’est à peu près ça (rires).