Le Tour de France 2018. / JEFF PACHOUD / AFP

Encore un joli coup de l’équipe Sky, encore une preuve de sa supériorité stratégique sur le reste du peloton. A quelques kilomètres de l’arrivée de la 1ère étape hier, la formation britannique a poussé le génie tactique jusqu’à organiser la chute de Chris Froome pour faire diversion. Résultat : le mot « salbutamol » n’a pas été prononcé de la journée. Bravo.

Mieux : en lâchant cinquante et une secondes à Romain Bardet, l’armada dirigée par Dave Brailsford permet à la France de se réveiller, ce matin, persuadée que son champion peut vraiment gagner le Tour, et que ce Chris Froome, dans le fond, est quand même sans doute un chic type. Fini les (rares) pancartes hostiles à son endroit encore aperçues samedi le long des routes. Voilà « Froomey » tranquille, il va pouvoir vivre en toute sérénité ce Tour qu’il empochera lors du dernier contre-la-montre, la veille de l’arrivée. Lâcher quelques secondes aujourd’hui pour mieux s’imposer dans trois semaines, ou comment faire un marginal gain d’une marginal loss.

Trêve de facéties. En Danseuse tient à dire son respect total (des attaquants certes, mais quand même surtout) des cyclistes qui chutent sans moufter sur nos départementales, en cette période de pleurnicheries sur les terrains de football de Russie. Froome s’est gaufré dans le fossé à vive allure ; moins de dix secondes plus tard, il était de nouveau sur son vélo. Et que dire de Lawson Craddock (à part qu’il a un patronyme rigolo), tombé à cent bornes de l’arrivée, qu’il a ralliée le visage en sang et l’omoplate fracturée, huit minutes après le vainqueur ?

Le valeureux Lawson a tout de même le visage un peu Craddock. / JEFF PACHOUD / AFP

« Il ne faut plus s’attendre à de gros écarts en montagne, ce n’est plus là que les grands leaders arrivent à faire la différence », expliquait Thierry Gouvenou, l’homme qui trace le parcours du Tour, dans ce long et intéressant entretien réalisé par Le Gruppeto. Les nombreux incidents de la première étape toute plate d’hier l’ont confirmé, avec par ailleurs la crevaison de Quintana pour cause de collision avec un îlot directionnel, ou la chute de Bernal en raison d’un rétrécissement de la chaussée. « On peut perdre plus de temps dans une traversée de village que dans la montée de l’Alpe d’Huez », selon Nicolas Portal, directeur sportif de l’équipe Sky. Le coureur irlandais Dan Martin estime, lui, que les milliers de ronds-points de l’Hexagone « expliquent beaucoup de choses ». Maîtriser l’art de la voirie à la française est devenu essentiel.

C’est ainsi, les coureurs seraient désormais bien inspirés de prévoir des entraînements spécifiques dans des environnements faits de ronds-points, dos d’âne, ralentisseurs, et de toutes ces inventions qui recouvrent les routes du pays pour protéger les automobilistes, et mettent en danger les cyclistes. ASO pourrait même créer, à l’image de ceux qui existent pour le meilleur en montagne et le meilleur au sprint, un nouveau maillot distinctif pour récompenser « le meilleur coureur en milieu urbain avec éléments de voirie périlleux ». Ce maillot pourrait être orange fluo et sans manche, tel un gilet de la DDE. Voilà, ce sont de petites suggestions.

Nouvelle trêve de facéties. On pensait devoir patienter jusqu’au contre-la-montre par équipes de demain pour constater de premiers écarts ; ils sont déjà notables.

» Retrouvez ici tous les classements à l’issue de la première étape

Si l’on se fie à ce que l’on a vu hier, puisqu’elle semble paisible sur le papier, l’étape du jour, promise elle aussi aux as du sprint, à toutes chances de déboucher sur un nouveau carnage. La Grande Boucle poursuit son Tour de Vendée et mènera le peloton sur les traces de grands hommes de la Nation : de Mouilleron-Saint-Germain, où Georges Clemenceau et Jean de Lattre de Tassigny virent le jour, à La Roche-sur-Yon, terre natale de MHD, en passant par Montréverd, celle de Maxime Bossis.

(Départ 13 h 10. Arrivée prévue autour de 17 h 30)

LE TOUR DU COMPTOIR : NOIRMOUTIER

Chaque matin pendant le Tour, En Danseuse vous envoie une carte postale depuis le comptoir d’un établissement de la ville départ de la veille.

« Le pint de Noirmoutieï i s’ra farmaï ! »

Oui. SNCF est formel : impossible de rallier Noirmoutier en train. Et pourtant, nous voici face au Café de la Gare, dans la capitale de l’île. Nous voici aussi face à Bernard Damour, habitué des lieux, qui nous avise : « La gare, c’est la gare routière, juste derrière. » Bonne feinte.

Bernard, « pur Noirmoutrin, et fier de l’être », fier aussi de son patronyme : « Damour et d’eau fraîche ! », claironne-t-il. Pour l’amour, on ne sait pas, pour l’eau fraîche, on a un doute. Le gaillard de 56 ans travaille comme saisonnier à la Coopérative agricole de Noirmoutier, qui produit chaque année près de 10 000 tonnes de pommes de terre. Il est donc ce qu’on appelle ici un « patacou », un type qui bosse dans la patate.

Au Café de la Gare, le quart de finale entre le Brésil et la Belgique intéresse manifestement plus que le Tour de France qui s’élance le lendemain à quelques mètres d’ici. Un pronostic quant à l’identité du vainqueur de l’édition 2018 ? Réponses de Bernard et ses deux collègues de la « Coop » : « Un cycliste », « Thomas Voeckler », « Bernard Hinault ». Bonnes feintes.

Recevoir le Grand départ du Tour n’enchante manifestement pas plus que ça notre interlocuteur. « Le Super U et l’Intermarché vont être fermés toute la matinée, et puis on ne va pas pouvoir circuler parce que le pont sera fermé », explique Bernard qui, à cet instant, prend la décision de traduire systématiquement ses propos en patois local : « Le pint de Noirmoutieï i s’ra farmaï ! »

Et le passage du Gois ? « Le Goï aussi i s’ra farmaï », affirme Bernard. Faux, le Gois était simplement impraticable pour cause de marée haute. Tiens, d’ailleurs, comment dit-on « le passage du Gois sera recouvert par la mer » en patois noirmoutrin ? Bernard hésite : « Euh… La mer sera dessus. » Ah. C’est un peu décevant.

Bernard ne s’intéresse que de très, très loin au vélo – il ne connaît pas l’expression « chasse-patates », un comble pour un patacou – mais se souvient du dernier passage du Tour sur son île qu’il ne quitte jamais. C’était en 2011, le peloton arrivait par le « pint » et repartait par le « Goï », et un ami à lui y avait laissé un genou en tombant dans un fossé où il s’était précipité pour ramasser des saucissons Cochonou balancés par la caravane. « Il a glissé, il s’est cassé la gueule. » Un silence. « Il a ripaï, il a cassé sa goule ! »

Coïncidence ? Le lendemain de cette étonnante rencontre avec Bernard, c’est-à-dire hier, en fin d’étape, Chris Froome a ripaï lui aussi et a cassé sa goule dans un fossé. Mais son genou va bien.